Blog suisse de littérature

16 novembre 2014

Le genou ne supporte plus que je reste assis. La main se crispe. C’est la droite, celle des corrections, celle qui tient la clarinette, celle qui écrit.

Le corps déjà se déglingue. Il continuera. C’est l’inéluctable destin de la chair : fraîche, mûre, rassie, rance, avariée, rongée de vers.

Montaigne méditait sur la mort, but ou bout, en sentant sa dent tomber. Il songeait, à quarante ans, qu’il était vieux. Dans une semaine, j’ai trente-quatre ans. Cela ne veut rien dire. Il faut que je répare ma main et mon genou, que je trouve le moyen de rajeunir, que je fasse, comme tout un chacun, le marathon de New-York ou d’Athènes, que je participe au masochisme ambiant de ceux qui refusent de se voir vieux.

« Mourir, cela n’est rien, mourir, la belle affaire, mais vieillir, ô veillir… » Brel disait ne pas avoir peur, puis il chantait J’arrive, espérait jusqu’à l’ultime souffle que rien ne cesse, que le vieillissement s’inverse, qu’un corps qui tremble se remplisse encore une fois d’étoiles.

Il est aussi des vieux qui s’accrochent, des Trolley qui veulent chanter encore La petite Louise, qui radotent en sicilien de vieux witz adorés, qui pétaradent dans une trompette péteuse une joie de vivre que rien ne dévaste, qui s’éclairent le visage dans la nuit des gueules d’enterrements.

Des plus jeunes se cherchent, se reniflent, se tournent autour, se dévoilent, se touchent, se cambrent, se durcissent, s’aiment et se fuient. Leurs corps ne savent pas encore qu’ils tomberont en décrépitude. Ils vivent comme des dieux, immortels dans leur quête des plaisirs, puis ils se lassent, cherchent à se détruire, boivent jusqu’à la lie les alcools frelatés des fêtes sans fête.

Avec le temps (« on n’aime plus », la chanson de Léo Ferré a la même franchise scandaleuse que celle de Brel), on regrette de ne plus faire la noce jusqu’à point d’heure comme quand on avait l’âge. Il faudrait jouer les éternels adolescents, les bambocheurs invétérés, les oiseaux de nuit sans fatigue. Bien sûr, cela accélèrerait la déchéance, mais quitte à se liquéfier, autant qu’on sache pourquoi. Quitte à crever, autant choisir comment, autant résister de tout son corps malade à la dictature de la santé obligatoire, à la main-mise sur nos vies chiantisées par les assureurs-maladie et autres margoulins du bien-être, de la diététique et de la sobriété qui n’ont d’intérêt que pour notre fric, parce que d’un mec qui crève, il ne reste que le fric.

Soyons donc vieux, malades et dépensiers en bouffes pantagruéliques : nous insulterons les vendeurs de bonne santé en leur rappelant que personne ne meurt bien portant. 


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A propos

Lie tes ratures, littérature, ce blog se veut l'atelier de mon écriture. J'y déverse en vrac des notes prises au jour le jour, l'expansion de ces notes en des textes plus élaborés, des réflexions et des délires, des définitions et des dérives, bref tout ce qui fait le quotidien d'un homme qui écrit, ici, en Suisse, ailleurs, dans mes rêves et à travers le monde qui m'entoure.

Bref, ce blog suisse de littérature partira dans des directions variées qui, je l'espère, sauront vous parler.