Il est des lieux où il faut se noircir. Tout ici invite au sombre, au dégoût, au dégueu, à la mort joyeuse, à Baudelaire, à Poe, à Gainsbarre, au vin des assassins. Des ombres boivent, vautrées, incrustées dans le bar vermoulu comme les marins maudits du Vaisseau Fantôme. Un silence. Un râle. Une amertume. La mer nous a engouffrés. On bouge à peine. Il faudra boire pour tanguer, boire et reboire, sans soif et sans rire, dans une fête solitaire qui finira tard, beaucoup trop tard, au bord de la falaise, au fond de la Sarine. Des bougies rouges consument le sang emprisonné des suicidés d’hier. Bientôt elles aussi seront mortes. Seuls survivants, des squelettes noircis énerveront des rifs épileptiques sur des guitares d’os brisés. Encore un silence. Des voix, graves. Ma femme est partie. Cette chanteuse, c’est… Non, ce n’est pas... Trop vive, pas assez anorexique, trop années quatre-vingt. Puis voilà une femme, une vraie, silhouette aux cheveux ébouriffés. La musique s’éclaire. C’est le far-west, le cahot du chariot, swing low, sweet chariot, coming for to carry me home. On se pendra demain. Ce soir, on retentera notre chance à la loterie des immondices. On se soûlera, on la soûlera, on la – on se – rock’n’rolera, puis on l’emmènera dans des coins sordides. Elle dira non. Il fera jour. On vomira notre trop plein de guiness dans le ruisseau et on reviendra s’asseoir ici pour attendre le retour blafard du jour sur ce monde immonde qui chaque nuit se fait plus noir, plus charbonneux, plus chancelant. Déjà les guitares ont brisé les voix survivantes.
Soyez le premier à commenter