Bar le Corsaire, vendredi 31 mars 2017, 13h45

Un vieux loup de mer échoué cherche la formule qui tue : « Plus elle est grosse, plus elle est belle. »

Le patron se plaint : « Ça devient un bistrot social. » Il a failli lâcher l’injure : « Bande de socialistes ! » Il se retient : le client est roi, même en République, mais on te tient à l’œil, mon coco, si tu recommences avec tes théories de douze, on te jette par-dessus bord.

Les gauchistes – des types qui veulent, tenez-vous bien au bastingage, je cite, « intégrer les étrangers » - se sont mis à parler en Suisse allemand. Sans doute sont-ce des passagers clandestins, des espions de Berne, des marins d’eau douce.

Les marins du mur, eux, ivres de sang et de rhum, se foutent bien des socialistes alémaniques : ils ont pêché une sirène et s’apprêtent à la passer à la casserole. Ils en perdent tout sens de la perspective et semblent s’envoler comme des exocets : le souper ce soir sera…

Mais que s’est-il passé ? La pendule s’est renversée avec le bateau. Il est déjà point d’heure, les hublots transforment l’eau de mer en lumière, les clients boivent du café et se retrouvent collés au mur, l’air bête, profondément bêtes. Quelques épaves viennent s’accouder au bar. Par où entrent-elles ? Y a-t-il encore des portes ? Les socialistes se sont évaporés.

« Jésus m’attend en haut avec les 506 vierges », affirme le patron.

L’autre répond : « On en a quoi à foutre de ces vierges ? On bande mou. »

Il préfère bouffer des sardines : « Allons à Messine pêcher la sardine, allons à Lorient pêcher le hareng. » Il ne s’agira que de pizzas.

Les marins ne chantent plus. Le navire a jeté l’encre. Mal de terre. Traversée du désert de l’après-midi. Le capitaine se prépare à s’ennuyer. Tout est à nouveau normal, sauf la pendule, qui s’est arrêtée pour de bon.