L’eau de Orgeole étincela entre les buissons et soudain le regard de Robert s’arrêta. Qu’est-ce que c’était que cette bestiole qui l’observait à travers les branches ? C’était sale et peureux, recroquevillé, rachitique. C'était pas une bestiole. Ça avait les pieds dans l’eau mais les cheveux secs. C’était un enfant. Garçon ? Fille ? Impossible de savoir dans un état pareil. Robert l’appela : Hé, toi ! L’enfant chercha à fuir mais n’en eut pas la force. Robert sauta dans les buissons, s’y écorcha les jambes mais parvint sans peine à recueillir l’enfant, qui ne pesait rien. Il l’enveloppa dans son pull, le transporta jusqu’au village, lui donna quelques restes à manger, que l’enfant dévora, puis il lui fit couler un bain. L’enfant se dévêtit. C’était une fille. Robert détourna les yeux. Quel âge pouvait-elle avoir ? Elle entra timidement dans le bain et y resta de longues minutes pendant lesquelles Robert se demanda où trouver des vêtements de fille. Il n’avait chez lui à la taille de l’enfant que ses vieilles frusques de petit garçon. Ça suffirait pour le moment. La petite fille les enfila sans bruit puis se mit à parler, à beaucoup parler. Elle raconta des histoires de sorcières et de salamandres et elle jura plusieurs fois très fort, ce qui mit Robert mal à l’aise, surtout quand elle se fâcha contre le bon Dieu et contre les hommes, tous des pourritures, disait-elle. Puis elle se mit à pleurer et Robert la prit dans ses bras. Toi, tu n’es pas comme eux, lui dit-elle. Il ne demanda pas qui était ce eux. Elle lui fut reconnaissante. Comment t’appelles-tu ? Comme tu veux. Alors tu t’appelleras Orgeolette, puisque c’est là que je t’ai trouvée, proposa-t-il, faute d’une idée meilleure. Elle répéta ce drôle de nom plusieurs fois. Pourquoi pas ? Elle lui sourit. Robert et Orgeolette vivent encore. Elle porte des vêtements d’homme. Il préfère que ce soit ainsi.
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