Blog suisse de littérature

Bernard Clavel, Malataverne

  • Vincent Francey

L’eau de Orgeole étincela entre les buissons et soudain le regard de Robert s’arrêta. Qu’est-ce que c’était que cette bestiole qui l’observait à travers les branches ? C’était sale et peureux, recroquevillé, rachitique. C'était pas une bestiole. Ça avait les pieds dans l’eau mais les cheveux secs. C’était un enfant. Garçon ? Fille ? Impossible de savoir dans un état pareil. Robert l’appela : Hé, toi ! L’enfant chercha à fuir mais n’en eut pas la force. Robert sauta dans les buissons, s’y écorcha les jambes mais parvint sans peine à recueillir l’enfant, qui ne pesait rien. Il l’enveloppa dans son pull, le transporta jusqu’au village, lui donna quelques restes à manger, que l’enfant dévora, puis il lui fit couler un bain. L’enfant se dévêtit. C’était une fille. Robert détourna les yeux. Quel âge pouvait-elle avoir ? Elle entra timidement dans le bain et y resta de longues minutes pendant lesquelles Robert se demanda où trouver des vêtements de fille. Il n’avait chez lui à la taille de l’enfant que ses vieilles frusques de petit garçon. Ça suffirait pour le moment. La petite fille les enfila sans bruit puis se mit à parler, à beaucoup parler. Elle raconta des histoires de sorcières et de salamandres et elle jura plusieurs fois très fort, ce qui mit Robert mal à l’aise, surtout quand elle se fâcha contre le bon Dieu et contre les hommes, tous des pourritures, disait-elle. Puis elle se mit à pleurer et Robert la prit dans ses bras. Toi, tu n’es pas comme eux, lui dit-elle. Il ne demanda pas qui était ce eux. Elle lui fut reconnaissante. Comment t’appelles-tu ? Comme tu veux. Alors tu t’appelleras Orgeolette, puisque c’est là que je t’ai trouvée, proposa-t-il, faute d’une idée meilleure. Elle répéta ce drôle de nom plusieurs fois. Pourquoi pas ? Elle lui sourit. Robert et Orgeolette vivent encore. Elle porte des vêtements d’homme. Il préfère que ce soit ainsi.

Petite histoire écrite à partir de la phrase 2 page 78 du roman Malataverne de Bernard Clavel.


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Lie tes ratures, littérature, ce blog se veut l'atelier de mon écriture. J'y déverse en vrac des notes prises au jour le jour, l'expansion de ces notes en des textes plus élaborés, des réflexions et des délires, des définitions et des dérives, bref tout ce qui fait le quotidien d'un homme qui écrit, ici, en Suisse, ailleurs, dans mes rêves et à travers le monde qui m'entoure.

Bref, ce blog suisse de littérature partira dans des directions variées qui, je l'espère, sauront vous parler.