Blog suisse de littérature

Blaise Cendrars, Le Brésil, Des hommes sont venus

Avant de quitter l’église, la sainte relique fut déposée dans la sacristie pour la consolation des habitants qui nous l’avaient demandé…

Les paroissiens ne pouvaient en effet se résoudre à voir partir le très sacré doigt de pied de Jésus, encore marqué du clou rouillé de la Sainte Croix. Depuis dix générations, on s’était agenouillé devant le saint orteil et celui-ci avait écouté toutes les prières montant du cœur des fidèles. C'était lui qui avait permis au village de prospérer et aux arbres de donner des fruits.

Qu’allait-il se passer lorsque leur protecteur serait parti ? Les habitants l’ignoraient et ils craignaient le pire. Sans protection divine, tous les malheurs sont possibles : la grêle, la maladie, la déchéance, la sécheresse, l’iniquité, la luxure, le choléra, l’athéisme, tout peut arriver quand on n'a plus le doigt de pied de Dieu pour veiller sur nous.

Mais voilà : l’évêque voulait la relique pour lui tout seul, il voulait lécher tout seul les pieds du Christ, par humilité, disait-il, parce qu’il n’est pas d’acte plus digne que de se prosterner devant les saints restes du Christ.

Au village, on pensait que l’évêque était un imposteur, un renégat, un païen et que le doigt de pied de Jésus était par essence relié à l'église d'ici, à ce village, aux hommes et aux femmes qui l’avaient vénéré depuis la nuit des temps. Mais un ordre de l’évêque est un ordre de l’évêque : chacun se signa une dernière fois devant la relique, chacun s’inclina le plus bas qu’il pût, puis chacun regarda s’éloigner le saint os la larme à l’œil.

Nous partîmes avec l’objet sacré et nous le présentâmes à l’évêque, qui aussitôt le lança à son chien : « Essaie de ne pas t’étouffer, Pilate, c’est quand même un bout de Jésus. Allez, va chercher ! » Le chien s’étouffa quand même. On envoya son cadavre au village où il fut vénéré comme un martyre.


Post précédentRomain Didier, Le regard de VincentPost suivantPhotogriffouille 58

Commentaires et réponses

×

Nom est requis!

Indiquez un nom valide

Adresse email valide requise!

Indiquez une adresse email valide

Commentaire est requis!

* Ces champs sont requis

Soyez le premier à commenter

A propos

Lie tes ratures, littérature, ce blog se veut l'atelier de mon écriture. J'y déverse en vrac des notes prises au jour le jour, l'expansion de ces notes en des textes plus élaborés, des réflexions et des délires, des définitions et des dérives, bref tout ce qui fait le quotidien d'un homme qui écrit, ici, en Suisse, ailleurs, dans mes rêves et à travers le monde qui m'entoure.

Bref, ce blog suisse de littérature partira dans des directions variées qui, je l'espère, sauront vous parler.