2x1, 1x2, 1x3 : le serveur chauve donne ses ordres à la dame qui dispose sur les tables le poivre, le sel et le Maggi. Le serveur est un cadre sympathique, dévoué à son patron, sévère mais juste, il compte les sous comme personne, surtout ces nouveaux billets verts ou rouges ou jaunes que les sommelières trouvent trop épais, il rassure sa clientèle et reçoit des tapes amicales sur l’épaule de la part de la serveuse portugaise, qui n’ose pas s’avouer qu’elle est un peu amoureuse de lui. C’est un vieux pourtant, le serveur de l'Escale, la cinquantaine, mais les clients sont encore plus vieux, ils ont les cheveux en bataille, ils ne sont pas sympathiques et ils boivent des ballons de rouge. Le serveur chauve agite ses bras fins, il discute avec la dame du comptoir pendant que la serveuse portugaise sert les vieux, se force à leur sourire, aimerait bien que l'autre lui offre un petit verre de champagne au cabaret en dessous, qu’il l’emmène un soir au loto dans la grande salle d’à côté, qu’il lui paie une pizza au milieu de la nuit et qu’ils achèvent la nuit en haut, à l’hôtel, mais le serveur chauve est un homme bien, il est marié, il aime sa femme, il ne la trompe pas. Les vieux, eux, se plaignent de leurs bourgeoises qui les laissent seuls pour courir le monde. Les voilà, les pauvres chéris, obligés de boire l’apéro puis de manger le plat du jour, des paupiettes de bœuf avec du riz et des légumes vapeur. Le serveur chauve s’est arrêté un instant pour manger. C’est bientôt le coup de feu. 2x1, 1x2, 1x3, ça fait – il est fort en calcul, c’est pour ça qu’il a fait serveur et qu’il sera bientôt patron – six. Ce coup de feu ne sera peut-être qu’un pet dans l’eau de pluie qui continue à tomber assidûment derrière la vitre de la brasserie de l'Escale. Il pleure en mon cœur comme il pleut sur la ville, pense la serveuse portugaise en mangeant ses paupiettes.
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