Les masques grecs parlent bolze. Ce sont des personnages de théâtre, des antiquités qu’on assied à des tables collées au comptoir et à qui on offre des canettes de cardoche pour que les touristes se croient dans un lieu authentique. En réalité, ces deux moustachus au visage rouge et aux cheveux raides sont des ruines. Ils causent comme des automates d’un temps qui n’est plus, celui de l’ancienne brasserie de l’Auge, le temps où Gottéron jouait (et gagnait!) aux Augustins avec Hubert Audriaz dans les buts, le temps où la piscine de la Motta était réservée aux hommes, le temps où l’on n’avait pas encore eu l’idée géniale de faire fonctionner un funiculaire avec les eaux usées de la ville, l’âge d’or d’avant l’envahissement de la Basse par des graineux d’Outre-Sarine. Une Vénus de Milo rétrécie au lavage plus blanc que blanc observe les autochtones d’un air dégoûté. Elle préfèrerait retourner dans le Péloponnèse où elle a laissé ses bras. C’est des choix de vie, dit une dame à lunettes rouges, une nouvelle habitante d’ici, une de ces gauchistes qui gâchent tout. Vivement que la troïka prenne aussi en main notre bon vieux Fribourg qui s’est livré au plus dépravé des communismes ! Vivement que des colonels suisses allemands remettent un peu d’ordre en Neuveville ! Les masques bolzes tirent des têtes de plus en plus tragiques. C’est pas évident, dit la dame à lunettes rouges, qui elle aussi sent sur elle le poids du temps. L’âge d’or est mort : ils viennent jusqu’ici pour mettre les amendes, se plaint la dame, qui en bonne gauchiste a une dent contre la police. La polis, corrige la Vénus de Milo, qui rêve de prendre ses jambes à son cou.