Blog suisse de littérature

Joseph Conrad, Le coeur des ténèbres

  • Vincent Francey

Trois hommes auraient suffi pour apporter tout ce qu’il fallait pour remettre ce vapeur à flot. Or nous n’étions que deux et nous ignorions tout à fait ce qu’il fallait pour remettre ce vapeur à flot. Nous attendîmes donc patiemment un troisième luron un peu plus fûté que nous, qui bien évidemment ne vint jamais. En désespoir de cause, nous tentâmes quelques bidouillages malheureux qui ne firent qu’empirer l’état du vapeur. Quelle drôle d’idée, nous dîmes-nous, que d’embarquer de nos jours sur un vapeur. Avec un moteur, nous aurions pu nous débrouiller, mais réparer un vapeur, plus personne ne sait faire ça. Bref, après avoir tenté tout et n’importe quoi pour le remettre à flot, nous abandonnâmes notre navire en rase rivière et partîmes à l’aventure. Nous pénétrâmes de sombres forêts, nous gravîmes d’escarpés sommets, nous traversâmes des déserts de sel, nous échappâmes à mille tempêtes, ouragans et tsunamis, mais rien, personne, nous n’étions que deux, désespérément deux, pas même deux amis, non, deux paumés échappés d’un vapeur à la dérive, deux Indiana Jones à la petite semaine, deux marcheurs boitillants et assoiffés. Nous marchâmes longtemps, très longtemps, seuls à deux, sans nous parler, comme si nous n’étions qu’un. Marchâmes-nous des mois, des années ou des siècles ? Je l’ignore. Un jour, je me suis assis sur une pierre et il est parti tout seul. Je suis resté assis, j’ai vu sa silhouette s’estomper, et je suis resté assis. Depuis, j’attends. Une femme viendra, c’est ce que je me dis. Elle ne remettra pas le vapeur à flot, mais elle me réparera, moi, et je voguerai en compagnie d’elle dans les vapeurs du désir assouvi. Parfois je regarde le ciel en me disant que c’est peut-être vers l’autre homme qu’une femme viendra et que j’aurais dû continuer à marcher, que mon destin, c’était marcher sans me retourner avec pour compagnon un inconnu taciturne vers une femme évanescente comme un vapeur remis à flot trop tôt et qui n'en finit pas de couler.

Bref récit imaginé à partir du phrase du Coeur des ténèbres de Joseph Conrad, avec un petit côté Indiana Jones. 


Post précédentFelix Mendelssohn, Wasserfahrt : am fernen HorizontePost suivantPhotogriffouille 95

Commentaires et réponses

×

Nom est requis!

Indiquez un nom valide

Adresse email valide requise!

Indiquez une adresse email valide

Commentaire est requis!

* Ces champs sont requis

Soyez le premier à commenter

A propos

Lie tes ratures, littérature, ce blog se veut l'atelier de mon écriture. J'y déverse en vrac des notes prises au jour le jour, l'expansion de ces notes en des textes plus élaborés, des réflexions et des délires, des définitions et des dérives, bref tout ce qui fait le quotidien d'un homme qui écrit, ici, en Suisse, ailleurs, dans mes rêves et à travers le monde qui m'entoure.

Bref, ce blog suisse de littérature partira dans des directions variées qui, je l'espère, sauront vous parler.