Blog suisse de littérature

La Blonde, samedi 18 février 2017, 17h35

Au bar, c’est le tour du monde en houblon.

Le barbu est soudain passé du Japon au Québec, tout en donnant gratuitement au serveur allemand un cours de gastronomie nord-américaine sur fond de guitares grasses. Mais le voilà déjà en Italie, un piège à touristes, affirme-t-il. Il est tessinois, évidemment.

Tentant pour les papilles, un bretzel pendouille à une patère, seul, triste, trop tard dans la journée pour qu’un affamé le croque. D’ailleurs, on a déjà sorti les cacahouètes.

Un compère a rejoint le globe-trotter. Ça se met à parler vite, en italien. En tessinois, pour être plus précis. Il ne faut mélanger la polenta et les raviolis.

Est-ce que nous sommes dans une cave ou dans une écurie ? s’interroge le buveur de blonde. Drôle d’envie : s’approcher d’une blondinette et lui demander, à brûle-pourpoint, si elle veut qu’il la boive. Il n’y a que des hommes. Où sont-elles ? En voilà une. Allemande. La soixantaine. Plus tout à fait blonde. On était mieux entre hommes. La blonde en bock est bonne, elle au moins. De toute façon, le buveur de blonde préfère les brunes.

Un blues profond laisse le bretzel sans voix. Les guitares font pourtant de leur mieux pour saturer l’ambiance, pour serrer la corde où se pendent les hommes sans blondinettes, pour rendre la bière plus amère.

« J’aime pas parler juste pour parler » déclare un blaireau à lunettes. Son interlocuteur lui répond relations humaines, patati, patata. Il est blond: c'est facile pour nouer la conversation, et plus si affinité.

Le buveur lève les yeux : que signifient ces inscriptions sur le mur ? Des signes cabalistiques zofingiens ? Lui, il appartient à l’ennemi, à la SES, aux cathos conservateurs, du moins en théorie. Peut-être est-on en train de l’envoûter. « Laissez près de moi toutes les filles blondes » : Apollinaire est sans doute passé par ici. Leurs nattes restent repliées en forme de bretzel et leur regard aussi immobile qu’une pâtisserie que personne ne mangera.

Dans les oreilles fatiguées du buveur, les langues se mélangent, se roulent des pelles, en italien, en allemand, en américain, en français. Le Rhin le Rhin est ivre, se souvient-il. Sa bière ne tremble pas. Rien ne se brise. Personne ne rit. Pas d’éclat. Juste des Suisses allemands.

Si, quelque chose s’est brisé. 


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Lie tes ratures, littérature, ce blog se veut l'atelier de mon écriture. J'y déverse en vrac des notes prises au jour le jour, l'expansion de ces notes en des textes plus élaborés, des réflexions et des délires, des définitions et des dérives, bref tout ce qui fait le quotidien d'un homme qui écrit, ici, en Suisse, ailleurs, dans mes rêves et à travers le monde qui m'entoure.

Bref, ce blog suisse de littérature partira dans des directions variées qui, je l'espère, sauront vous parler.