Il faudrait, se sont-ils dit, recréer le jardin d’antan, vous savez, celui du paradis, celui d’Adam, celui d’Eve née de sa côte, celui du serpent tentateur, du pommier et du tournesol, celui d’un temps sans mauvaises herbes ni mauvaises graines, vous savez, l’époque des barbus à vélo et des chevelus nonchalants. Vous vous souvenez, c’était avant l’anthropocène, avant la fission nucléaire, avant le capitalisme carnassier. Dans un premier temps, rêvent-ils, il faudrait que les gens restent habillés mais à la longue et avec le chaud ils reviendront pour de bon à la nature et se foutront à poil sans s’en rendre compte, même si pour l’instant ils boivent des sirops de sureau, du vin bio et de l’eau de pluie, même s’ils s’empoisonnent à fumer des cigares, des pipes de maïs ou des pousses de haricot, même s’ils chassent les guêpes qui rôdent autour de leurs bières-limonades en parlant anglo-américain, chinois, créole et bolze en même temps, même s’ils refont le monde, le rafistolent, écrivent sur des ordinateurs ennemis le programme de la prochaine révolution, même s’ils jouent les caméléons de l’amour sur des bancs bricolés par des militants du bois et de la terre rêvant que la ville dès demain – ils ont adoré le film – sera reprise de haute lutte par la forêt redevenue vierge et que partout pulluleront ces tables à cinq continents, ces Africaines en robes longues, ces Asiatiques coquettes, ces Américaines à lunettes qui fuient Trump et ces Suissesses sans le sou. Mais soudain, une voix s’élève. Elle dit un seul mot : Proust. Le temps retrouvé, voilà notre utopie, se disent-ils en regardant leurs enfants s’amuser entre le thym et le serpolet. Une cloche sonne au loin, vestige du temps du temps. Quelques modernes rêvent encore de plages et de piscines. Un autre monde est possible, leur crient les framboises et les tagettes. Les modernes, pour l’instant, hésitent à les prendre au sérieux mais eux, les néo-barbus et les néo-chevelus nonchalants, savent que bientôt on sera tous tout nus et que cela effacera toutes les inégalités parce qu’un patron à poil n’est plus un patron, c’est un juste un type comme un autre et la révolution, la vraie, celle sans ordinateur, c’est de se foutre tous à poil et de recréer le jardin d’Eden.
Soyez le premier à commenter