Blog suisse de littérature

Le XXe, Fribourg

  • Vincent Francey

Erreur de casting, me voilà largement doyen d’âge. Peut-on s’arrêter au XXe quand on a plus de vingt ans ? Peut-on se dire en toute innocence que la serveuse est charmante quand on arrive sur le seuil des quarante balais ? Peut-on ne pas passer pour un vieux cochon venu mâter la midinette affairée sur l’ordinateur d’à côté ? Partout, des smartphones accaparent l’esprit des gamins qui s’ennuient. Partout, des barbus sans poils blancs sourient à des bières légères comme leur tête vide qui se plaint de ce monde trop injuste qui les empêche de boire en paix des boissons sucrées qu’on évite parce qu’il faut jouer les grandes personnes en montrant à la fille à l'ordi qu'on en a. Malgré la migraine, j’ai moi-même pris une bière. Pas question de me dégonffler devant une serveuse si accorte. Sans doute ne connaît-elle pas le sens de ce mot, accorte. Jamais aucun bodybuildé ne le lui a dit, le mot accorte. On l’a traité de bonne, puisqu’elle sert à boire, on a inventé des mots pseudo-américains pour l’impressionner, on s’est frotté à elle dans un vacarme épouvantable mais on ne lui a jamais dit qu’elle était accorte. Peut-être a-t-on dit jolie ou a-t-on poussé, par bravade, jusqu'à à belle ou poupée. Vous êtes, mademoiselle (on ne lui a jamais dit mademoiselle non plus), en passe de devenir mon égérie, ma muse, mon épigone, l’objet obscur (c’est une noireaude à la peau ambrée) de mon désir, ma mie et mon Aphrodite. Voilà les mots que je lui dirais si je n’étais pas si vieux et elle si idiote, parce que les jeunes filles aujourd’hui sont toutes idiotes, cela va de soi, sauf peut-être cette ombre qui semble pensive devant son écran, comme si elle cherchait ses mots, des mots plus sophistiqués que ceux qu’on lui gueule à l’oreille les nuits où elle se décide sans passion à jouir dans les bras d'un de ces avortons à barbiche qu’elle prend pour des hommes. Vous devriez, mademoiselle (elle n’a jamais entendu le mot non plus), tenter de vous lover dans des bras plus expérimentés qui sauront faire jubiler vos sens qui ne demandent, je le sens, qu’à découvrir les mille délices des amours d’antan ainsi que maintes traditions surannées qui ne demandent qu'à exprimer leur inventivité évanouie en votre cambrure paradisiaque. Voilà des mots que je ne dirai pas non plus. Le ciel est aussi noir que les cheveux de la serveuse accorte. Il va pleuvoir. Je vais rentrer chez moi pour y vieillir un peu moins brûlé par ces tentations juvéniles et pour y retrouver le sens du mot épigone.

Propos coquins ou vicieux (à choix) écrits le mercredi 9 août 2017 à 16h55 au XXe à Fribourg.


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Lie tes ratures, littérature, ce blog se veut l'atelier de mon écriture. J'y déverse en vrac des notes prises au jour le jour, l'expansion de ces notes en des textes plus élaborés, des réflexions et des délires, des définitions et des dérives, bref tout ce qui fait le quotidien d'un homme qui écrit, ici, en Suisse, ailleurs, dans mes rêves et à travers le monde qui m'entoure.

Bref, ce blog suisse de littérature partira dans des directions variées qui, je l'espère, sauront vous parler.