La pluie rêve-t-elle de Chine ? S’imagine-t-elle des dragons et des feux d’artifice pour la transpercer de chaleur ? Rêve-t-elle de déluges et de moussons plus exotiques ? Elle pleut, elle ne sait faire que ça, la pluie de chez nous, elle pleut et pas même elle pleure et elle reste désespérément douce. Quelques vieux Européens font comme si nous ne nous étions pas encore fait bouffer par les tigres de l’Empire du Milieu et comme si la victoire définitive de la Chine n’était pas déjà certaine avec comme corolaire l’inéluctable effondrement de notre bancale civilisation occidentale. Les vieux boivent un verre de blanc de la Côte, ils lisent Le Matin et ils boivent des expressi barios, le café de Fribourg, prétend la tasse, made in China. Les seules voix qui causent fort sont de celles qui se calligraphient en des signes saugrenus et complexes dont le sens échappe à l’explorateur occidental le plus chevronné. C’est du chinois, comme on dit quand un sabir quelconque échappe à notre sagacité de colonisateurs en déroute. Il faudra nous habituer à reconnaître qu’en effet c’est du chinois, plus précisément du mandarin ou du cantonais. Du cantonais de quel canton ? Le vieux n’y comprend rien et les Chinois rient – jaune, le gag atteint sa date de péremption demain, le Parti ayant décidé de ne plus se laisser rire au nez par ces freluquets de blanc-bec européens – puis il font manger au Suisse décrépit du chien errant et de la méduse croustillante tout en continuant, jusqu’à ce que le monde leur appartienne, à rire – jaune, profitons-en une dernière fois puisque demain c’est fini – avant que toutes les nappes de tous les restaurants du monde ne se couvrent de fleurs de lotus et que des paons scintillants n'ornent toutes les devantures de toutes les boutiques chics ou pas chics de la planète. Alors nos yeux écarquillés se brideront au marché noir qui deviendra marché jaune – ce gag étant inédit, nous nous permettrons ultérieurement de réutiliser, à nos risques et périls (jaunes) – et ce sera alors vraiment l’empire du milieu, le règne de la maffia cantonaise – uranaise, argovienne, tessinoise, jurassienne, zurichoise, glaronaise, genevoise, thurgovienne, fribourgeoise, soleuroise, valaisanne ou bernoise, tout cela ne sera désormais que la lointaine banlieue de Canton – et ce sera la victoire mondiale des estampes et des fumeries d’opium. Seule la pluie continuera, imperturbable, à pleuvoir. Peut-être rêvera-t-elle d’Europe, la pluie devenue jaune. Ce qui est certain, c’est qu’elle ne rira pas. Pleurera-t-elle enfin ?