Louis Aragon, Le paysan de Paris

• 29.07.2017

Ils sont français, allemands, portugais. Ça nous change pas trop. Ils sont catholiques. Parce que de nos jours, ce qui compte, c’est pas le pays, au fond, même si quand on connaît pas, c’est quand même louche, non, ce qui compte, c’est la religion.

Peut-être qu’ils sont protestants. Ça sent déjà moins bon, ça, mais des protestants, on en a toujours eu et on n’en est pas mort. Par contre, les autres, ces musulmans de par là-bas, ces gens du désert, on sait pas vraiment de quel trou ils sortent et ce qu’ils viennent foutre par chez nous. Allez savoir. On serait surpris. On peut pas leur faire confiance, avec tout ce qu’on voit à la télé, ces attentats, ces meurtres, ces trafics d’esclaves, on n'est pas rassuré. 

Alors, moi, quand le type – un sale type d’ailleurs, basané, mal rasé, crasseux – m’a baragouiné ce drôle de nom de pays qu’il a peut-être inventé, parce qu’en plus, les musulmans, c’est fourbe, inspirés qu’ils sont par Satan, j’ai pas hésité un seul instant. « Loin du bal », que je lui ai dit. « On veut pas de ça chez nous », que j’ai ajouté. On va quand même se faire marcher sur les pieds par des étrangers. 

C’est pas ma faute, monsieur le juge, si j’avais mon arme de service sur moi. On sait jamais, à notre époque. J’ai bien fait. De toute façon, c’est rien que de la racaille, de la graine de terroriste, comme ils disent à la radio, alors c’est pas comme si j’avais buté un Suisse, un Français ou un Allemand, même un Portugais, à la limite. Personne va le regretter, ce bougnoule. Au fond, j'ai rendu service à la société en le butant. 

Vous allez quand même pas me mettre au clou pour si peu ? Vingt ans ? Décidément, ils nous emmerderont jusqu’au bout, ces sales musulmans. On est envahi. C’est le grand remplacement : on fout les honnêtes citoyens en taule et on met à leur place des étrangers. On vit quand même dans un drôle de monde.