Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit

C’était pourtant un couple tout ce qu’il y a de plus normal, les Cortilène. Ils s’étaient rencontrés chez les scouts. Il l’avait séduite en gagnant le concours de tir à la corde. Ses longs cheveux châtains et son regard mystérieux avait fait le reste. Le dernier soir, autour du feu, on chantait Kumbaya, my Lord et il l’avait serrée dans ses bras musclés. Dès lors, ils ne s’étaient plus quittés. Le samedi après-midi, il la prenait sur son vélomoteur et ils faisaient de longues virées dans les campagnes environnantes.

Quand elle fut enceinte, il l’épousa. On invita les oncles et les tantes. On mangea bien. On but beaucoup. Puis on s'installa dans un petit trois pièces sans prétention. L’enfant fut baptisé. On l’appela Julien. Il y en eut un deuxième, Jérémy, puis la petite dernière, Séverine. Ces trois angelots faisaient la joie de leur parents. Papa Cortilène travaillait dans une compagnie d’assurance, maman dans une agence de voyages. On ne roulait pas sur l’or mais on était heureux. On se contentait de ce qu’on avait.

Mais un jour – il devait avoir dix-sept ans – Julien Cortilène ramena une petite amie à la maison. Elle s’appelait Sandrine. Elle était blonde. Il l’avait connue chez les scouts, comme il se doit. Elle était mignonne à croquer.

La suite, tout le monde la connaît, le père qui retombe en adolescence et se souvient de ses exploits au tir à la corde, la mère qui soudain semble vieille, la jeune fille qui s’ennuie, le petit frère qui découvre le pot aux roses et qui raconte tout, le flingue qu’on n’avait pas assez bien caché.

La tragédie, chez les Cortilène, fut comme leur vie, banale.

A en crever.