Patrick Chamoiseau, Une enfance créole I, Antan d’enfance

• 19.09.2018

Elle nous avait interdit de sortir, parce que dehors, disait-elle, c’était trop dangereux pour nous. Nous, évidemment, nous n’avions qu’une seule idée en tête : sortir.

Un soir que Man Ninotte s’était assoupie à son poste de garde, nous tentâmes une évasion. Sur la pointe des pieds, nous quittâmes notre tente et passâmes comme des ombres maléfiques devant Man Ninotte endormie. Nous n’osions respirer. Elle était maligne, Man Ninotte, peut-être qu'elle faisait semblant de dormir.

Nous avançâmes dans la nuit jusqu’à la forêt et nous y pénétrâmes, terrorisés. Nous ne connaissions de la forêt que ce que les contes de Man Ninotte nous en disaient, des histoires de loups et de panthères, où les enfants ne survivent que si Dieu veut bien faire une exception.

Soudain, nous entendîmes un craquement. Nous étions pétrifiés : qu’est-ce que c’était ? Nous regardâmes partout mais nous ne vîmes rien d'autre que la nuit noire et des troncs d’arbres plus noirs encore. Puis il y eut comme une voix. Était-ce un loup ou une panthère ? Nous ne connaissions pas bien les cris de ces bestioles. Nous savions juste qu’à en croire les contes de Man Ninotte, ils mangeaient les petits enfants pas très sages, ce qu’à l’évidence nous étions ce soir-là, puisque nous avions désobéi à Man Ninotte.  

Affolés, nous courûmes le plus vite possible vers notre tente.

Man Ninotte dormait encore.

Dès le lendemain, elle nous donna le droit de sortir : « Dehors, Man Ninotte, c’est trop dangereux pour nous ! », lui répondîmes-nous. Et depuis cette nuit d'effroi nous n'avons jamais plus quitté notre tente.