Blog suisse de littérature

Paul Jorion, À quoi bon penser à l'heure du grand collapse ?

  • Vincent Francey

Je ne savais si ce que je m’apprêtais à lui annoncer susciterait en elle les élans de tendresse et d’affection que j’entretenais la secrète mais tenace espérance qu’elle manifestât, je ne savais non plus dans quelle mesure un tel aveu me rendrait sinon indispensable du moins intéressant – ne demandons pas la lune – à ses yeux – de merveilleux yeux gris tirant sur le vert clair – et j’ignorais tout à fait si elle allait prêter ne serait-ce qu’une oreille discrète aux folles paroles que j’osais à peine me formuler à moi-même et que je tremblais de tout mon être de bégayer face à son visage à la fois fin, délicat et avenant, un visage qui me fascinait à tel point qu’il m’était alors impossible de le regarder sans tomber en apoplexie, ce qui fit qu’au moment fatal, je m’en abstins et détournai honteusement mes yeux éblouis vers mes pieds et donc – car les chemins qu’empruntent nos regards sont toujours emplis de pièges dans lesquels j’ai le don de tomber – je m’arrêtai en route, avec une insistance qu’elle ne manqua pas de trouver fort louche, sur certaines parties de son corps de rêve que la décence devrait au contraire éviter d’observer de façon trop manifeste et je me trouvai donc planté devant elle la tête basse, le cœur dévasté et l’œil penaud fixé sur le bitume, à ne pouvoir débiter mes salades, ce qui fit qu’elle ne comprit absolument rien à mes intentions par ailleurs fort honnêtes – n’allez pas imaginer que mon arrêt involontaire à la hauteur de ses seins éveilla en moi la moindre pensée impure, puisque tout ce à quoi je pensai à ce moment-là fut précisément à tout tenter pour ne pas qu’elle puisse s’imaginer que je pus précisément avoir une telle pensée à son propos – bref mon approche s’avéra le plus complet des fiascos et je dus me résoudre la mort dans l’âme à me retirer de sa vie définitivement, certes, mais, étant donné les informations qui me parvinrent à son propos bien des années plus tard, informations que dans un premier temps je crus être pure calomnie mais qu’il fallut bien, puisqu’on m’en apporta une preuve irréfutable, accepter comme étant l’indéniable vérité – je me refuse, au nom des sentiments absurdes que je ressentis jadis pour un tel monstre, car monstre elle l’était à n’en point douter, de divulguer ici les actes criminels que celle que j’aimai pourtant d’un amour tout ce qu’il y a de plus platonique avait commis envers ses propres enfants qu’elle égorgea au berceau, mais j’en dis déjà trop – et je m’éloignai donc d’elle à regret, piteusement convaincu d’être le plus couard des individus, mais – avouons-le-nous malgré le couteau qui remue encore dans la plaie – je me carapatai fort prudemment.


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A propos

Lie tes ratures, littérature, ce blog se veut l'atelier de mon écriture. J'y déverse en vrac des notes prises au jour le jour, l'expansion de ces notes en des textes plus élaborés, des réflexions et des délires, des définitions et des dérives, bref tout ce qui fait le quotidien d'un homme qui écrit, ici, en Suisse, ailleurs, dans mes rêves et à travers le monde qui m'entoure.

Bref, ce blog suisse de littérature partira dans des directions variées qui, je l'espère, sauront vous parler.