Blog suisse de littérature

Pierre-Henri Simon, Pour un garçon de 20 ans

  • Vincent Francey

Votre Honneur, je me dois en mon âme et conscience d’interrompre les propos superfétatoires et largement infondés, il faut bien l’admettre, de mon préopinent, dont bien évidemment je ne saurais remettre en cause ni la haute idée qu’il se fait de la justice, bien qui celle-ci s’avère bien inférieure à celle qu’il se fait de lui-même, ni l’indéniable humanisme dont mon honorable confrère sait saupoudrer les mielleuses paroles qu’il susurre à l’oreille des jurés afin de les induire en erreur, ni même l’impression d’élémentaire bon sens que sa rhétorique ma foi merveilleusement huilée semble dégager alors que son but ultime, selon ce que vous-même, votre Honneur, m’avez déclaré en aparté, se résume, et c’est maintenant à vous, braves gens qui devez décider si l’homme que vous voyez assis ici devant vous, cet homme ordinaire traqué de toutes parts par les vautours de la presse qui le décrivent – avez-vous lu ce que par exemple, un torchon, puisqu’il faut appeler un chat un chat, comme le Journal du Soir a écrit à propos de ce, je cite, « monstre endormi sous l’apparence d’un bon père de famille débonnaire » ? – cet homme humilié, anéanti, cet individu à jamais mis au ban de la société alors qu’il ne fait pas l’ombre d’un doute, malgré les allégations à la fois mensongères, ridicules et cruelles de mon brillant prédécesseur devant vous, mesdames et messieurs les jurés, devant vous également, votre Honneur qui m'avez révélé des réalités peu reluisantes à propos de monsieur mon vénéré collègue, réalités que je ne saurais ici répéter afin de ne pas mettre fin à l'exemplaire carrière d'un homme qui s'est toujours battu avec fougue afin de tirer la veuve et l'orphelin des griffes du loup, mais trêve de précautions oratoires, venons-en à l'essentiel : c’est à vous et rien qu’à vous de prouver au monde que malgré une instruction à charge contre mon client et malgré les soi-disant preuves, laissez-moi rire, de sa culpabilité, c’est à vous, disais-je, mesdames et messieurs, de déterminer s’il existe encore en ce bas monde un semblant de morale et d’acquitter cet homme qui ne saurait être ni le petit-fils de Landru, ni l’imitateur de Charles Manson, ni l’héritier de Jack l’Éventreur, ni l’émule du terrifique sadique de Romont, ni même le continuateur du tristement célèbre docteur Petiot, non mesdames, non messieurs, méditez ceci : on ne succède pas à de tels individus, on n’inscrit pas ses pas dans les leurs, on invente chacun en son for intérieur sa propre œuvre d’art, et si mon client a trucidé au marteau-piqueur ces quarante-sept jeunes filles, c’est par amour du travail bien fait, parce que quand on est comme lui doué d’un talent hors du commun, mesdames, messieurs, votre Honneur et vous les odieux gens de presse qui, médiocres que vous avez toujours été, êtes incapables de distinguer le génie du tâcheron, non mesdames, non messieurs, quand on a trouvé une forme d'expression aussi originale que mon client en a été capable, on ne s’arrête pas en si bon chemin, non mesdames, non messieurs, car quand l’appel de la beauté est irrépressible, on ne cesse jamais de créer, on continue.


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A propos

Lie tes ratures, littérature, ce blog se veut l'atelier de mon écriture. J'y déverse en vrac des notes prises au jour le jour, l'expansion de ces notes en des textes plus élaborés, des réflexions et des délires, des définitions et des dérives, bref tout ce qui fait le quotidien d'un homme qui écrit, ici, en Suisse, ailleurs, dans mes rêves et à travers le monde qui m'entoure.

Bref, ce blog suisse de littérature partira dans des directions variées qui, je l'espère, sauront vous parler.