Quand il ne reste que le son, il te semble que tu marches dans la nuit, que les voix qui surgissent sont celles de tes fantômes familiers, que les chants d’oiseaux sont ceux de ces coucous mécaniques qu’on remonte, que le gargouillis de l’eau flotte dans l’air, que cette promenade que tu fis je ne sais où ce jour-là n’a jamais eu lieu que dans ton rêve, un rêve brouillardeux où tu marches sur une route droite, horizontale, parsemée de pavillons vieillots et de basse-cours grillagées. Il te semble voir des gens que tu connais sans savoir pourtant qui c'est. Cette dame qui dit il est là, c’est maman et ce n’est pas elle, c’est une dame qui ressemble à maman, en plus âgée mais quand même elle, et ces enfants, ce sont aussi ceux que tu connais, peut-être les tiens, ceux que tu n’as pas encore, et ces hommes à l’apéro, parce que des hommes qui parlent avec cet accent-là sont forcément à l’apéro, ce sont, non, eux tu ne les connais pas, ils ont du ventre, ils portent des marcels, ils n’ont plus tous leurs cheveux et toi qui marches, est-ce que c’est vraiment toi, est que ce n’est pas juste une paire de jambes, de longues jambes pressées qui déambulent au hasard d’un paysage monotone, d’une sorte de village recomposé, d’un décor de cinéma, d’un cinéma parlant mais sans image.