Blog suisse de littérature

Robert O. Paxton, La France de Vichy

  • Vincent Francey

Cette envie obsessionnelle, ce besoin irrépressible, cet appel du destin, ce cri de l’intérieur comme une phrase qu’on emplirait jusqu’à satiété, plus que jusqu’à satiété, jusqu’au dégoût, jusqu’au trop-plein, jusqu’à l’ivresse, jusqu’à ce qu’elle titube, la phrase, l’envie, la personne tout entière qui l’écrit, ce besoin, cette nécessité, cette malédiction de la phrase deux page septante-huit, de la deuxième phrase entière de cette page-là, toujours de cette page-là, quel que soit le livre, que ce soit le livre d’un salaud ou le livre d’un héros, que le maréchal Pétain soit les deux – héros et salaud – ou non, qu’il ne soit qu’une sinistre ordure de bout en bout, de Verdun au Vel d’Hiv, ce sera cette page-là dans tous les livres, dans les chefs-d’œuvre et dans les bouses, partout ce sera la phrase deux page septante-huit, parce que c’était elle parce que c’était moi, il s’agira d’épuiser toutes les phrases deux page septante-huit de tous les livres du monde, de les tordre, de les ensevelir, de les magnifier, de les souiller d’une main moite ou sévère, d’une main vengeresse, d’une gifle, d’un coup de poing, d’une caresse, de tout ce que la main peut inventer de plus dégoûtant et de plus pur, de tout ce travail manuel de l’écrivain, du tâcheron de l’écriture, de l’enlumineur de phrases deux page septante-huit, toujours la même phrase, toujours une autre, phrase longue ou courte, phrase anecdotique, phrase de rien à qui l’on refuse le respect dû aux belles plumes de jadis, phrase qu’on réécrit à la main, à la tête, à la va-comme-je-te-pousse, phrase nouvelle qui châtie la phrase ancienne, parce que la vieillesse n’est pas un gage de sagesse, parce que le maréchal Pétain, quand on l’a appelé au secours, avait huitante-quatre ans, parce que le maréchal Pétain, à huitante-quatre ans, était un vieux con, mais qu’avant, le maréchal Pétain avait été un con un peu moins vieux, la jeunesse n’étant elle non plus pas un gage d’idéal, parce que Pétain, de près, de loin, de tous les côtés, il faut le classer dans la catégorie des honnis de l’Histoire, des traîtres, des parjures, des militaires, le maréchal Pétain a infecté cette phrase deux page septante-huit qui, dans un livre consacré à lui, lui échappait et que dans notre perversité de ravaleur de phrase nous ramenons à cet infâme maréchal qui conduisait la France, mais était-ce encore la France, nous interpelle le général de Gaulle, surgissant directement des phrases deux page septante-huit précédentes à l’image du petit diable qui tente Milou dans Tintin au Tibet ou de l’ange, mais le général de Gaulle, en soixante-huit, ce sera lui le salaud, sauf qu’en quarante pas, qu’en quarante, le grand Charles, c’est l’appel, c’est l’espoir, c’est la France éternelle, une certaine idée piétinée par cette sous-merde de Pétain mais ne nous acharnons pas sur ce cadavre à l’heure de ceux qui révèrent cette vieille baudruche, cette marionnette qu’on agite avec un balai dans le cul, ce symbole rance de la France putassière qui crache à la gueule des arrivants de tout poil, à l'heure de la France glauque et sanguinaire de Marine Le Pen et de son père.

Amplification d'une phrase tirée de La France de Vichy de l'historien Robert O. Paxton : "Cette envie d'une main qui châtie conduisait directement à l'image du père." 


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A propos

Lie tes ratures, littérature, ce blog se veut l'atelier de mon écriture. J'y déverse en vrac des notes prises au jour le jour, l'expansion de ces notes en des textes plus élaborés, des réflexions et des délires, des définitions et des dérives, bref tout ce qui fait le quotidien d'un homme qui écrit, ici, en Suisse, ailleurs, dans mes rêves et à travers le monde qui m'entoure.

Bref, ce blog suisse de littérature partira dans des directions variées qui, je l'espère, sauront vous parler.