Blog suisse de littérature

Tea Room Rex, Fribourg

  • Vincent Francey

Les murs sont capitonnés comme dans les asiles de fous au cinéma. Tout semble dater d’un jadis imprécis et usé, d’une époque bénie où le septième art était roi. On se croirait presque dans un train mythologique, quelque Orient-Express reconfiguré, concaténé, à l’arrêt dans une gare autour de laquelle nulle ville ne fut construite sinon en carton-pâte pour un film avec Humphrey Bogart, Omar Sharif et Audrey Hepburn.

Derrière le vieux comptoir se mijote quelque drame. Une matrone latine explique à une novice asiatique l’art du capuccino. Les clients sont pénibles. Il faut éviter le trop de mousse et le pas assez. Le patron erre au hasard, cherche quoi faire, il est traqué par des malfrats qui tout à l’heure surgiront du boulevard, l’enlèveront et demanderont en guise de rançon un capuccino sans trop de chocolat, avec juste ce qu’il faut de mousse et de crème, c’est ça, encore une goutte de lait, un grain de café, arabica, voilà votre capuccino, messieurs.

Derrière le comptoir ne reste que l’Asiatique. Elle laisse entrer deux enquêteurs en civil, une femme à chapeau et un faux intellectuel, qui ne se doutent pas que deux tables plus loin trois brigands dégustent avec bonheur le plus parfait des capuccinos. Le patron est libre. La rançon dépassait les exigences des voyous qui ont bien sûr reconnu dans la seconde les flics les observant du coin de l’œil.

Soudain, la sommelière japonaise bondit sur le comptoir, sort de son tablier un nun-cha-ku qu’elle agite dans tous les sens et se jette sur les malfrats qu’elle met hors d’état de nuire en deux prises de karaté. Les deux enquêteurs prennent leurs jambes à leur cou. C’était Bonny and Clyde déguisés en faux flics préparant un braquage qui n'eut jamais lieu.

La matrone latine regarda son apprentie dans le blanc de ses yeux bridés : « Allez me nettoyer tout ce chenis, mademoiselle. Quand je pense qu’ils n’ont même pas pu finir ce capuccino que j’avais préparé avec tant d’amour ! » Le patron prit la matrone dans ses bras et l’embrassa goulûment pendant douze minutes trente-quatre. La Japonaise en profita pour liquider les corps. Un client discret n’avait rien perdu de la scène. Il tendit une enveloppe à Brucette Lee : « Et maintenant, il faut qu’on s’occupe de Bonny and Clyde », lui dit-il, un revolver planqué sous Le Matin Dimanche.

Récit largement inspiré de clichés cinématographiques écrit au Tea Room du Rex à Fribourg le dimanche 2 juillet 2017 à 11h20, avec en prime l'histoire de Bonny and Clyde. 


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Lie tes ratures, littérature, ce blog se veut l'atelier de mon écriture. J'y déverse en vrac des notes prises au jour le jour, l'expansion de ces notes en des textes plus élaborés, des réflexions et des délires, des définitions et des dérives, bref tout ce qui fait le quotidien d'un homme qui écrit, ici, en Suisse, ailleurs, dans mes rêves et à travers le monde qui m'entoure.

Bref, ce blog suisse de littérature partira dans des directions variées qui, je l'espère, sauront vous parler.