Blog suisse de littérature

Terrasse du Bindella, Fribourg, lundi 19 juin 2017, 16h40

  • Vincent Francey

Renouons, puisque nous avons pignon sur rue piétonne, avec une antique passion : regarder passer les culs. Les conditions sont parfaites pour s’adonner au voyeurisme : trente degrés à l’ombre, canicule qui m’emballe, nouvelles lunettes et célibat prolongé. Levons donc les yeux et, lubrique, bavons devant les pures beautés callipyges qui remontent et redescendent la rue de Lausanne.

Rinçons-nous l’œil : une énergumène tout de blanc vêtue, un instrument dans le dos, passe en musique : grosse guitare mais cul invisible. Un éclopé à pantalon vert boitille. Une vieille à pantalon rose l’imite. Premier cul potable : une espèce de pijama à fleur, maigrichon. L’œil ne se mouille pas encore d’émotion. Un cycliste à casquette et deux électriciens descendent la rue. Le courant ne passe pas. Le magasin d’en face est un concept store. Ils vendent des idées. Ils sont fermés le lundi. On ne peut pas tout le temps être inspiré. Deuxième cul affriolant : une tatouée tout de noir vêtue. Nous préférons voir la vie en couleur. Troisième, quatrième, cinquième culs tape-à-l’oeil, des shorts ultracourts, un pas trop rapide, le regard qui n’arrive pas à suivre. Une touffe de cheveux crépu dévale la pente. Une ficelle blanchâtre le suit. Des hommes. Monte un sixième cul, sur échasses, aux cheveux verts. On voulait de la couleur, d’accord, mais il y a des limites. Septième cul : attention danger :  il y a un cul masculin à côté. Un moustachu aux cheveux longs passe sur une cariole électrique puis remonte avec une glace. Le cul numéro huit est moulé dans une robe noire affolante. Une main robuste se pose sur l’épaule qui y est reliée. Restons invisible. Cul numéro neuf : toujours en noir. Avec le chaud, pourtant, le noir n’est pas indiqué. Notre chemise aussi est noire. Il faut de la couleur, bon sang ! Un père de famille nombreuse pousse une double poussette et un vélo déserté par une petite fille jaune. Il aurait dû rester célibataire, le pauvre, il ne sait même plus ce que c’est que de regarder passer les culs. Cul numéro dix, en trottinette. Passage en coup de vent. Pourquoi passez-vous si vite, mesdames aux délicieux popotins ?

Le problème des culs qui passent, me dis-je en renonçant à poursuivre ce trop rudimentaire inventaire, c’est précisément qu’ils passent. Finalement, les conditions n’étaient pas aussi idéales qu’il n’y paraissait : il faudrait trouver un lieu où les culs s’arrêtent.

Se poser sur la terrasse du Bindella et regarder passer les culs, voilà une activité certes peu avouable, mais plus difficile qu'elle n'en a l'air. Ce petit récit voyeuriste fait-il de moi un horrible phallocrate ?  


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A propos

Lie tes ratures, littérature, ce blog se veut l'atelier de mon écriture. J'y déverse en vrac des notes prises au jour le jour, l'expansion de ces notes en des textes plus élaborés, des réflexions et des délires, des définitions et des dérives, bref tout ce qui fait le quotidien d'un homme qui écrit, ici, en Suisse, ailleurs, dans mes rêves et à travers le monde qui m'entoure.

Bref, ce blog suisse de littérature partira dans des directions variées qui, je l'espère, sauront vous parler.