Blog suisse de littérature

14 avril 2021 - 1999 - 2000 - 2001

  • Vincent Francey

Se replonger dans des écrits anciens. Cette vie-là, est-ce que c’est ma vie ? Ce type qui écrivait déjà, si maladroitement, est-ce ce même type qui essaie toujours d’éviter les maladresses ? Quels sont les échos, les dissonances, les résurgences ? Seulement quelques extraits (laisser secrètes mes amours adolescentes), des bribes de passé qui remontent, des mots qui ont été écrits par qui ? Toujours cette drôle d’idée que ce n’est pas moi.

14 avril 1999

Je passe une soirée sans grosses émotions et vais me coucher après avoir vu Julien Sorel tuer madame de Rênal, qu’il a pourtant aimé. Je ne vais pas pousser la comparaison avec ce personnage fascinant au point d’aller tuer [ici un prénom que nous ne révélerons pas ; aux dernières nouvelles elle est toujours vivante, je l’ai croisée l’automne passé].

14 avril 2021

N’ai pas relu Le Rouge et le Noir et ai oublié comment Julien tuait… je ne sais même plus son prénom (Mathilde ?). Livre emprunté. Oublié (presque, il y a des restes, vagues). Ce dont je me souviens, par contre, c’est de l’endroit où je le lisais : la chambre aux lapins, qui en ces temps reculés était ma chambre. Comme tout est dans Wikipédia, même les mensonges, corrigeons : s’il y a bien une Mathilde dans Le Rouge et le Noir, madame de Rênal se prénomme Louise, mais là n’est pas l’essentiel. L’essentiel, et cela me rassure, c’est que je n’ai jamais eu l’âme d’un assassin.

14 avril 2000

Nous traversons le pont Jean-Jacques, anciennement pont Charles mais rebaptisé Jean-Jacques hier soir à minuit par Alain et moi. Il fallait bien marquer nos empreintes sur cette belle ville. Et puis Jean-Jacques, c’est plus beau que Charles. L’autre pont un peu plus loin s’appelle désormais le pont Mickey, toujours en l’honneur du grand Jean-Jacques Mickey dont Alain m’a fait découvrir le génie.

[…]

Nous sortons quand même et cherchons un troquet ouvert, sympa et pas cher dans toute la ville. Je fais, comme promis, deux secondes de sphinx sur le pont Jean-Jacques.

[…]

Vers deux heures, nous nous décidons à rentrer. Nous assistons à une scène bizarre dans le tram. Nous nous arrêtons à cause d’un pneu au milieu de la route.

14 avril 2021

Voyage d’études à Prague. Que sont mes amis devenus ? Celle pas assassinée l’automne passé. Les autres ? Alain est psy, je crois. Les autres ? Un curé, un architecte, je crois, d’autres psys, un flic. La chanson de Bruel : rendez-vous dans dix ans. Il y avait eu un souper de classe. Puis rien. Vingt-et-un ans. Des prénoms qu’on oublie aussi facilement que celui de madame de Rênal. Mais des images, voilà ce qui reste, des flashs. Ce fameux sphynx sur le bureau du prof lors d’une pause de midi et ce pneu lancé dans la nuit. Quelques mots tchèques aussi, ceux du bus : vichtup anachtup (cela s’écrit sans doute autrement, avec des accents circonflexes à l’envers et des consonnes à la pelle) et pivo, la bière. Ce souvenir encore que la bière, à Prague, se buvait comme de l’eau mais que l’absinthe, c’était une autre affaire, et ce type qu’on tenait par les pieds pendant qu’il vomissait par la fenêtre (il faudrait relire le journal des jours précédents).

14 avril 2001

Tout commence dehors, où le curé entame sa messe dans un vibrato de marteau-piqueur, avant d’être à deux doigts de mettre le feu à son aube en allumant le cierge pascal. Ensuite il se taille dans l’église presque au pas de course, avant d’entamer un chant lugubre, le Christ est ressuscité, gueulant tout faux alors que le chœur-mixte chantonne par-dessous. Pendant les lectures qui suivent, la lampe de chevet s’allume et s’éteint, tel un feu clignotant, ce qui ne manque pas d’énerver Arlette et de faire rire l’assemblée.

14 avril 2021

S’amuse-t-on encore autant à la messe ? Arlette est-elle toujours lectrice maintenant qu’elle n’est plus factrice ? Il est désormais interdit de chanter : un mal pour un bien ? Quant au feu sacré, il n’en finit pas de s’éteindre. Remuer les braises ?

Revenir à tes vingt ans, remonter ta vie de plus de vingt ans, forcément ça te file la mélancolie, et tu penses aussi à ces filles qui hurlaient dans la cave à bière des Arbognes cette chanson-là, filles qui quand elles se voient encore aujourd'hui se surnomment "les vieilles". 


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A propos

Lie tes ratures, littérature, ce blog se veut l'atelier de mon écriture. J'y déverse en vrac des notes prises au jour le jour, l'expansion de ces notes en des textes plus élaborés, des réflexions et des délires, des définitions et des dérives, bref tout ce qui fait le quotidien d'un homme qui écrit, ici, en Suisse, ailleurs, dans mes rêves et à travers le monde qui m'entoure.

Bref, ce blog suisse de littérature partira dans des directions variées qui, je l'espère, sauront vous parler.