Blog suisse de littérature

Miettes : déchets du livre à écrire

Comme quand on mange, quand on écrit, il y a des miettes, des textes qui disparaissent d'un livre, des passages qu'on sucre parce qu'ils ne sont pas à leur place. Plutôt que de les jeter, je vais les déposer ici et ces miettes seront la trace sur le web de projets personnels en cours d'écriture.

Vincent Francey

Deux pans : le mur, crépi ; ligne noire ; d’autres murs, fragmentés. Pierres apparues, briques, ciment, coulures. De la chaux, de la moisissure, des carrés de sol quadrillés, usés, piétinés. Du temps amassé sur ce sol, sur ces murs. Rosé, le crépi. Et la manivelle, obsolète, cachée dans l’ombre d’elle-même, rouillée. FUCHS Frères Constructions mécaniques PAYERNE Suisse. Gravé : BREVETE. Pas un fil. Nudité.

Vincent Francey

L’homme se souvient. La porte est refermée. Le voilà seul. Ils ne peuvent plus rien pour lui, ils l’ont dit, c’est à toi de jouer maintenant, ne nous déçois pas. Jouer d’accord, mais à quel jeu ? La porte est en bois massif. De l’autre côté, ils doivent encore parler, ils doivent se demander s’ils ont fait le bon choix en l’envoyant lui et pas un autre, ils doivent penser comme lui, que ça passe ou ça casse, on verra bien. Pour lui, il n’y a plus qu’à. La porte. Pourquoi s’acharne-t-il à…

Vincent Francey

On vide l’espace, on descend les bottes de foin, les bottes de paille, les bottes de regain, on balaie, on pelle, dans notre grange, on abat les parois, on vire les poutres, on libère de l’espace, il faut tout vider, les sacs de grain, les fourches suspendues, plus rien ne doit rester, le monte-charge, les échelles, plus rien, les abreuvoirs, loin, les ficelles, loin, les dessins sur les murs, effacés, la fleur, le perroquet, les bonshommes aux moustaches exagérées, on les enlève, le câble et la…

Vincent Francey

FSBB Une génétique de pointe au service de tous les éleveurs – Montbéliarde Holstein Normande Race à viande – une coopérative de taille humaine – ses valeurs restent intactes : faire que les éleveurs puissent vivre de leur métier avec un bétail de qualité – génotype vos femelles Montbéliardes – un détecteur de vêlage fiable et performant pour plus de sérénité dans votre organisation – 1 éleveur = 1 voix – un système non-invasif qui analyse les mouvements de l’animal en temps réel – le choix de…

Vincent Francey

Quelle avait été sa vie, elle n’aurait su le dire. Elle n’était rien, voilà peut-être ce qu’elle aurait pu répondre, si on lui avait posé la question. Ce qu’elle aimait, c’était regarder. Dès qu’il se passait quelque chose à quelque part, elle y était. Elle regardait. D’abord, ce fut le cinéma, puis le théâtre, puis le sport, elle venait au stade, place assise, et elle regardait. Elle ne supportait aucune équipe, n’aurait su dire si elle préférait le drame ou la comédie, ne s’intéressait pas aux…

Vincent Francey

Un champ, plat, un no-man’s-land. Un peu d’herbe pousse. Débris éparpillés de ferraille. Terre dure, pilée, battue. Des éclats d’os. Et le ciel : très bleu.

 

Un wagon, vide, sièges, accoudoirs, une barre pour se tenir debout. Les poubelles ont été vidées, les sièges nettoyés, un tag sur une vitre, à moitié effacé.

 

Le plateau, paisible, trois fauteuils roses, un bouquet de fleurs, faux salon de maison de poupée et pour les spectateurs de simples chaises en bois.

 

Une chambre de motel, un…

Vincent Francey

Midi dix à l’horloge de l’usine : les tatoueurs sont assis sur un vieux siège de voiture défoncé, ils boivent des bières, attendent d’improbables clients. Midi dix à l’horloge de l’usine : photo de la fanfare, on tient à peine tous sur les escaliers, casquette bien droite, cravate serrée, sourire de circonstance. Midi dix à l’horloge de l’usine : la muette balaie les feuilles mortes. Midi dix à l’horloge de l’usine : le jour se lève et passent les enfants, en sautillant ; une petite fille…

Vincent Francey

L’enfant s’ennuie. Même sur le chemin de l’école, surtout sur le chemin de l’école, il s’ennuie, l’enfant, alors il cherche des trucs à faire, pour s’occuper, et il les note dans un petit carnet (celui-là, il ne laissera pas dans la grange, quand il sera parti en Amérique, il le gardera toujours sur lui et il refera les mêmes trucs, sauf que ce sera en Amérique et que forcément ça n’aura rien à voir). Il note :

Vincent Francey

L’or le ruisseau donne le tamis donne sable remue donne capsule ressort verre carton donne rêver demain l’enfant donne distribue l’or jette l’or donne l’argent l’enfant le rêve dort l’enfant or elle à côté pas dort elle les yeux donne d’or elle l’enfant matin donne bonjour toi donne hello donne cowboy elle parle donne ouvre l’œil il donne l’enfant donne le jour elle travail donne ordonne elle l’aventure demain donne départ donne au revoir jamais donne retour donne quand donne maldonne l’homme…

Vincent Francey

what c’est quoi je dis what pour dire quoi pourquoi je dis what c’est quoi what c’est allemand c’est anglais yes what c’est quoi ja c’est quoi amigos je dis what pour quoi et c’est quoi ça c’est quoi what en allemand en anglais what c’est quoi la langue allemand anglais italien c’est quoi what c’est ça what c’est du papier what ouatte c’est du papier quoi what cravate j’ai dit cravate moi cravate j’ai dit cravate et what et ouatte voilà j’ai dit what c’est quoi c’est du papier ouaté j’ai dit…

Vincent Francey

Doré, d’or, pépite surgie au cœur du gris, on trouve l’or au fond des ruisseaux, on trouve l’éclat, le clair éclat, l’éclat violent, doré, d’or, un grain, un rien, l’or soudain, on rêve, or fin, on dort sur des lingots d’or, on a trouvé l’or dans la boue, l’or miracle, l’or demain, on a trouvé l’or, Eldorado, on cherche, l’or dans les yeux, l’or introuvable, on cherche, on attend l’or, dorer la terre, adorer, on adore l’or, la couleur de l’or dans les yeux de l’enfant, le dialogue du soleil et…

Vincent Francey

La main le doigt le poil, du jaune, ça ne bouge pas, une tige jaune, une grille jaune au bout de la tige jaune, ça tremble, c’est prêt, un mouvement vif, pas assez, les formes noires s’éparpillent, les ongles les phalanges crispées, jaune, ça bouge, frappe, forme noire écrasée, pattes ailes sang, veines du bois, nœud, la tige jaune séparée de la main, un rouleau de papier, pliures, usure, taches de gras, les doigts avancent, les doigts s’arrêtent, papier fin, le rouleau se déplie, les doigts…

Vincent Francey

L’enfant dans le corridor, l’enfant dans la cave, l’enfant dans la grange, l’homme ne sait pas, ne sait plus, mais il y avait un enfant, il y avait ce dessin de cheval, où est-il passé, ce dessin de cheval, un cheval blanc, celui de cet endroit qu’on appelait l’écurie au cheval, mais le cheval est mort, dit-on, le cheval est parti, il n’y a plus rien, le corridor est vide et ce n’est plus un corridor, se dit l’homme, ce n’est pas la cave, ça ne pue pas la choucroute rance, il n’y a pas de…

Vincent Francey

La vieille s’étonne : ainsi donc vous ne vous souvenez de rien ? L’homme a ce mot dans la tête, le pays natal, il sait que cette grange, c’est le pays natal, mais du pays natal il ne sait rien, il a toujours vécu là-bas, presque toujours, il a toujours vécu là-bas mais il a toujours su qu’il venait d’ailleurs, on a toujours su le lui faire comprendre, il n’était pas ce qu’ils appellent un natif, il était un étranger, et il essaie, l’homme, de retrouver quelque chose de ce temps d’avant, de sa…

Vincent Francey

Il détaille néanmoins la fille, brune, assez petite, bien foutue, tout à fait son genre. Il est seul d’un côté du bar, elle est seule de l’autre côté. Entre deux, il y a un barbu qui essuie des verres. Derrière, des vieux, silencieux, sirotent.

Sonia Modini est assise sur une chaise haute et elle boit, lentement. Sonia Modini vient de fêter – mais de fête il n’y en a pas eu – ses vingt-huit ans. Elle vit seule avec son chat, elle sourit à son patron, lui dit non monsieur je ne suis pas de ce…

Vincent Francey

Roselawn, Indiana. L’ombre des feux rouges sur le bitume craquelé, les fils électriques, SR10, l’herbe rase, voitures éparses et derrière le grillage des tas de sable – y tamiser l’or – un bâtiment étrange, teepee de béton, un hangar, une forêt, CR600E, Pour House, des toits bas, un parking, le mot pizza coupé en deux par un poteau, Feldhouse, des fanions jaunes, des fanions rouges, un champ, des flèches sur la route, presque effacées, des feux verts, leur ombre, tout est aplati sous le bleu du…

Vincent Francey

Pour la glace, pour la confiture, il faut descendre à la cave, pour la glace à la cave de devant, pour la confiture à la cave de derrière, ou le contraire, pour la glace à la cave de derrière, pour la confiture à la cave de devant, l’enfant ne sait plus, il n’a jamais su, il descend des escaliers, il marche sur des vers à queue – des éristales, on les appelle, des larves de mouches – et il tourne la clé dans la serrure, un tour à gauche, un tour à droite, il ne sait pas non plus, il se demande…

Vincent Francey

Scène d’école : les enfants alignés, les yeux fermés, la tête en arrière, l’index tendu et le maître qui dit Lac des Quatre-Cantons, les enfants redressent la tête, n’ouvrent surtout pas les yeux, posent l’index sur la carte dépliée sur le pupitre. L’enfant a ouvert les yeux, son doigt est sur Lucerne. Il est fier, l’enfant. Il se récite dans sa tête les quatre cantons du Lac des Quatre-Cantons – Uri, Schwytz, Unterwald et Lucerne – mais il faut à nouveau fermer les yeux, mettre la tête en…

Vincent Francey

La table en bois, le banc d’angle, cette photo en noir et blanc, une ville, Fribourg, vue aérienne, souillée de salissures de mouches, la tapette sur la table et la porte, la grande porte ouverte, le mur avec les deux dessins, la fleur et le perroquet, une autre table, en fer, un bidon rempli de clous rouillés, et les abreuvoirs secs, la chaux des murs qui tombe, la rainure où s’accumule la terre, les poutres du plafond, elles tiennent tout juste, et l’échelle qui donne sur un plancher, l’ombre…

Vincent Francey

Sable mêlé de tout ça, des cailloux, des ressorts, des bouts de plastique jaune, sable froid, merdes de chats, sable brunâtre, sable sans or dans un pneu de tracteur, herbes hautes, trèfles toujours à trois feuilles, cailloux pointus, cailloux ronds, cailloux dépareillés, béton, rainures dans le béton, traces de beuses sur le béton, une planche sur le creux, branlante planche, cailloux, cailloux, cailloux, escaliers, grouillement là au fond, vers à queue, une grille, un seuil, terre battue –…

Vincent Francey

The Rose Kennedy Rose Garden, Boston, Massachusetts, roses blanches, roses rouges, roses roses et de l’autre côté du portail grillagé, sur un banc, un homme avec un livre, jambes croisées, pantalon gris. Il lit sous le lampadaire, séparé de la pelouse rase, séparé des grands arbres et des passants de la ville lointaine, c’est un homme seul au milieu des roses, à l’ombre d’un nuage, loin des façades de brique, loin des immeubles, un homme qui lit sur un banc au milieu des roses, au milieu de la…

Vincent Francey

1995, un matin d’hiver, l’enfant dans sa cachette, les planches rongées, les poutres de la charpente, il est assis sous les tuiles du toit, une seule transparente, au-dessus du livre, il tourne les pages du livre, il ferme le livre, il écrit dans un cahier. Le reste de la pièce est vide : çà et là des brins de paille, des toiles d’araignées, un cageot sur lequel l’enfant a posé le cahier, un tabouret pour le livre, mais c’est assis par terre que l’enfant écrit, le dos appuyé contre le mur…

Vincent Francey

L’enfant dans la grange tourne les pages du livre, c’est un enfant assis par terre dans la poussière sur le plancher qui craque sous les toiles d’araignées, c’est un cagibis caché dans un recoin de la ferme, au calme, loin des vaches agitées dans l’écurie au-dessous, un cagibis silencieux où l’on n’entend que les bêlements des moutons du pré de l’autre côté de la route où passent rarement des tracteurs verts avec des chars de paille ou des auto-chargeuses remplies d’herbe ; ils reviennent, ces…

Vincent Francey

L’ancien président Ronald Reagan est atteint de la maladie d’Alzheimer. Il commence à oublier ce qu’il a fait quand il était à la tête du pays. Ce n’est peut-être pas une mauvaise chose. Ce que je me demande, c’est s’il se souvient encore qu’il a fait du cinéma. Ce serait drôle qu’il se souvienne avoir joué dans La collégienne en folie – si, si, je vous assure, il y a bien eu un film qui s’appelait comme ça, une comédie musicale, et Ronald Reagan y chantait – mais qu’il ait oublié ses huit…

Vincent Francey

C’est dans la grange qu’il y a ce qu’il y a, c’est écrit. C’est. Partout c’est. Cela est. Ici – dans la grange – et maintenant, c’est. C’est deux fois : ici et maintenant dans la grange, c’est ; écrit c’est. C’est écrit. Pourquoi écrire que c’est écrit ? C’est dans la grange qu’il y a ce qu’il y a, ça devrait suffire, c’est déjà écrit, mais la phrase a besoin d’écrire que c’est écrit, alors qu’elle n’écrit rien : il y a quoi ? ce qu’il y a. C’est. Il y a. Verbes rétrécis, répétition acharnée…

Vincent Francey

Derrière la porte, ce ne fut pas toujours aussi vide. Le son de l’eau et le bêlement des moutons étaient jadis noyés dans une foule de cris d’enfants, de rires et de jurons. La roue de tracteur – un Deutz-Fahr vert sans cabine – allait et venait, tirant chars et autochargeuses dont on déversait l’herbe, le foin, la paille ou le maïs dans la grange, car ce lieu désormais vide, c’était une grange et ces deux manivelles rouillées servaient à déplacer le yâ, une plateforme amovible qui permettait de…

A propos

Lie tes ratures, littérature, ce blog se veut l'atelier de mon écriture. J'y déverse en vrac des notes prises au jour le jour, l'expansion de ces notes en des textes plus élaborés, des réflexions et des délires, des définitions et des dérives, bref tout ce qui fait le quotidien d'un homme qui écrit, ici, en Suisse, ailleurs, dans mes rêves et à travers le monde qui m'entoure.

Bref, ce blog suisse de littérature partira dans des directions variées qui, je l'espère, sauront vous parler.