Il est des soirs où l’on ne peut s’empêcher de refaire le monde, tout seul, entre plainte contre l’assassinat de la paysannerie et souvenirs renaissants. J’ai relu – après Maupassant, Une Vie, chef-d’œuvre simple – quelques-uns de mes textes anciens, de ceux dont je me dis qu’il faudrait les publier peut-être, dans un futur toujours reporté. Le Noyer m’a remis en bouche le souvenir du pain de chez Sudan, madeleine de Proust que l’industrialisation de l’alimentaire empêche de renaître. Puis « Cent chœurs » – le titre est encore à trouver – et ce que m’est la musique, des mots qui tournent autour du chant, qui tentent de dire ce qui ne se dit pas, des mots qui se frottent au sacré. J’ai aussi relu, avec une joie parfaite, La Cosse, petite incitation à la paresse destinée à des enfants, ce qui, à l’heure de l’hyperactivité obligatoire, est une nécessité absolue. Bref, je me rends compte que mes œuvres sont déjà nombreuses, bien que très variées et fragmentaires. Il y a aussi ce projet loufoque trop vite abandonné, comme plein d’autres, de La Franceyade, épopée comique autobiographique en alexandrins qui redonne vie à Biduscule, merveilleuse chatte à trois couleurs de notre enfance. Et puis il y a toujours en chantier L’homme à la valise, dont je paufine le langage en hésitant de plus en plus à rajouter tous les personnages qui me sont venus à l’esprit en cours de relecture. Il ne faut pas abuser de personnages secondaires. Dans Une Vie, la tante Lison suffit à mettre en valeur la relativité du ratage ou de la réussite d’une vie. Et Les Catelles beiges ? Oser le pavé dans la marre, le lyrisme qui tourne à la mort ? Le cul comique ? Mais vient la voix de marraine (adieu dindon, quand elle lavait la brouette, souvenir retrouvé dans Le Noyer) qui dit : « Pour vivre heureux, vivons cachés. » Papa lui répond : « Merde pour la République. » Que fera la génération suivante ?
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