Blog suisse de littérature

Terrassier (n.m.)

  • Vincent Francey

Assis sur la machine, au soleil, à la pluie, couvert un peu, terreux, barbu, tatoué, il tire sur la manette, il pousse, ça lève, ça prend sur le tas, ça verse, ça roule, il déplace de la terre à longueur de journée, des tonnes des terres qu’il étale, qu’il aplatit, de la terre et des cailloux, mais cette terre qu’il déplace, ces cailloux, ces heures de machine, ça dit quoi de lui ? Il n’y réfléchit pas, il a trop de terre à déplacer pour y réfléchir, il arrive le matin, tôt, en camionnette, il repart, tard, il boit une bière, sort le samedi soir, il veut encore un tatouage, un de plus, mais il hésite encore, il a largué sa nana, même pas pour une autre, pour avoir la paix, parce que le soir, quand il rentre de terrasser, il boit une bière, il allume la télé, il s’endort devant les nouvelles, il continuer à voir de la terre, que de la terre, de la terre qui monte au ciel, il fait des cauchemars : ce n’est plus lui sur la machine, c’est sa nana, sa nana qu’il a plaquée parce qu’elle l’ennuyait et qu’elle n’était pas si bien fichue que ça à la réflexion, c’est elle sur la machine, elle a creusé un trou et elle verse la terre sur lui qui ne peut bientôt plus bouger, mais il se réveille, éteint la télé, se regarde dans le miroir, appelle sa nana. Pas de réponse. Il est seul. N’aurait pas dû la larguer. Pas si moche à la réflexion. Il fixe le miroir : il fait plus vieux qu’en vrai. Combien ? Quarante, cinquante ans ? Il a eu trente-quatre ans hier. Il les a fêtés sur sa machine. Demain, il remonte sur sa machine. Se trouver une nouvelle nana ? Pas le temps. Pourtant, il en fait quoi de ses soirées ? Trop crevé. Trop vieux. Il hésite à se raser. Peut-être que ça rajeunit. Ça fait combien de temps qu’il a la barbe ? Il fixe le miroir : cette tronche-là, il en a marre, mais il n’en a pas d’autre à disposition, il a la tronche d’un terrassier, la tronche d’un type qui passe ses journées à déplacer de la terre et ses soirées à se regarder dans le miroir en regrettant de l’avoir larguée, cette nana, pas un canon de beauté, bien sûr, mais une tête qui change de la sienne, une autre tête dans le miroir, une tête sans barbe. Il la rappelle. Ça décroche. Un type : laisse-la tranquille.


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A propos

Lie tes ratures, littérature, ce blog se veut l'atelier de mon écriture. J'y déverse en vrac des notes prises au jour le jour, l'expansion de ces notes en des textes plus élaborés, des réflexions et des délires, des définitions et des dérives, bref tout ce qui fait le quotidien d'un homme qui écrit, ici, en Suisse, ailleurs, dans mes rêves et à travers le monde qui m'entoure.

Bref, ce blog suisse de littérature partira dans des directions variées qui, je l'espère, sauront vous parler.