Vautrin

Forçat repenti, Jean Valjean pas gentil qui tourne en Javert, Vautrin le roux reste tapi dans l’ombre. Personnage ambigu, effrayant, faux, on a l’impression – depuis combien d’année n’ai-je pas lu Balzac ? – de n’avoir devant son œil qu’une silhouette sur un mur, une sorte de fantôme, mais peut-être cette impression n’est-elle due qu’à ma mémoire défaillante, qu’au traumatisme scolaire que fut, à l’âge où lire veut dire trépider, mon premier contact avec Le Père Goriot, les quarante pages descriptives de son début – où se trouve Vautrin dans ce fatras ? –, les blablas d’un professeur qui bavait dans sa barbe et l’obligation de s’avaler un classique quand on voudrait tant que les livres parlent de nous, de moi, de mon mal-être d’ado trop vite grandi, du mal du siècle d'aujourd'hui. Apaisé par les années, relisons : « Il avait les épaules larges, le buste bien développé, les muscles apparents, des mains épaisses, carrées et fortement marquées aux phalanges par des bouquets de poils touffus et d’un roux ardent. Sa figure, rayée par des rides prématurées, offraient des signes de dureté que démentaient ses manières souples et liantes… » Puis encore deux pages de la même mouture. La naissance d’un personnage rien que par des mots, un miracle : quelques traits sur du papier et on dirait que Vautrin vit pour de vrai. Des mains carrées. Des bouquets de poils touffus. Déjà le lecteur recule. Des détails. Roux. Le diable. Dans les détails. Vautrin. Vautré ? Jamais ! Et pourtant, le nom – le prénom, c’était… oublié lui aussi – sonne comme une menace. Menace d’ennui pour le lecteur trépignant qui veut de l’action ? Menace peut-être – quel est précisément le rôle de Vautrin dans Le Père Goriot ? – d’une action violente qui viendrait troubler le calme apparent de cette pension Vauquer où la vie tourne au ralenti.