Blog suisse de littérature

10 octobre 2014

Il est des amours qui se passent de peau. 

Faute d’aimer une clarinettiste, j’aime mon instrument (la tentation salace était trop forte pour que j’y résiste). La sensualité de la clarinette ne se ressent pourtant qu’après mille tendinites, qu’après des années d’exercices fastidieux (merci monsieur Klosé), qu’après moult sifflements, fausses notes, grésillements et dérupes.

Comme une femme qui se sait sublime, la clarinette se refuse à son amoureux transi. Il m’est pourtant plus facile d’apprivoiser ma clarinette que les femmes. Le doigté (encore la tentation, sans vergogne, le mot qui, dans un exercice de français, fait glousser les élèves, petites pisseuses en chaleur ou gamins en rut mal dégrossis), le doigté donc sur les clés prend de l’assurance. De temps en temps, ça va tout seul et le plaisir surgit, au détour d’un air de Mozart ou de Lefèvre. Le son de la clarinette alors est un miracle.

Il semble pourtant que la clarinette ne séduit pas. Il en manque partout. On a décrété à la sauvette une année de la clarinette. Les renforts ne savent plus où donner du bec. Sans doute la désertion de la clarinette est-elle une preuve de la décadence de notre époque, qui n’a plus le temps d’écouter la subtilité du son plein, d’y découvrir la force et le moelleux du bois d’ébène et de se laisser caresser (l’érotisme n’est jamais loin de la clarinette) par la douceur, par l’espièglerie et par la rondeur d’un son qui ne ressemble à aucun autre, ni au hautbois plus fin et moins naturel, ni au saxophone soprano, le petit cousin jazzy qui jamais ne connaîtra la pureté du romantisme et le quintette de Brahms. Aujourd’hui, des ordinateurs inventent des sons faux qu’on martèle dans le vide. On se balance sans s’en rendre compte, et on s’en balance.

Si la clarinette était une femme, elle serait brune, grande, pulpeuse aux yeux noirs, un peu distante, un peu allumeuse, douce au lit, chagrine au petit matin, endiablée aux grands soirs de noubas. Elle serait surtout exigeante. On ne la caresserait pas n’importe comment. Il lui faudrait des gammes chromatiques comme préliminaires, des notes filées et les saccades du métronome. Quand elle serait satisfaite, elle serait le bonheur le plus parfait. 


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A propos

Lie tes ratures, littérature, ce blog se veut l'atelier de mon écriture. J'y déverse en vrac des notes prises au jour le jour, l'expansion de ces notes en des textes plus élaborés, des réflexions et des délires, des définitions et des dérives, bref tout ce qui fait le quotidien d'un homme qui écrit, ici, en Suisse, ailleurs, dans mes rêves et à travers le monde qui m'entoure.

Bref, ce blog suisse de littérature partira dans des directions variées qui, je l'espère, sauront vous parler.