Blog suisse de littérature

31 janvier 2015

Quand je songe à grand-maman, ce sont les papilles gustatives qui l’emportent.

Il y avait la boîte de croquets rectangulaire et la limonade orange. Jamais il ne nous serait venu à l’esprit de dire orangeade. Ça, c’était les après-midi ordinaires, dans la cuisine à Montagny-la-Ville, les dictionnaires en boules au bout de la table, les vieux dicos qu’elle gardait pour les mots qui s’étaient évadés des nouveaux mais qu’elle croisait toujours dans les grilles des verbicrucistes. Le goût des lettres me vient peut-être de ces mots-croisés qu’elle remplissait sans relâche, entre deux repas, avant d’aller chercher le lait en bas chez Jean-Pierre, sur le chemin des gargouilles, de s’arrêter causer un brin avec Berthe et Germaine sur le banc devant chez Renevey et de préparer le souper, pour cinq heures au plus tard, à l’heure où d’autres prennent le goûter.

Mais il y avait aussi les grands jours, ceux des grandes tablées au salon, la table des adultes, où ça hurlait, où ça vociférait des vérités définitives quant au rapport entre paysans et employés des CFF, et la table des enfants, où ça se réjouissait d’aller déguiller les ressorts des lits d’en-haut. Ces jours-là, il y avait de la soupe aux choux (la seule soupe digne de ce nom, tout le reste n’est que potage), du jambon de Mézières, de la langue fumée, du saucisson, des choux, des carottes et surtout ces incroyables patates au goût si unique dont le secret aujourd’hui est enfoui sous terre.

D’autres jours, on allait dénoyauter les cerises ou les raisinets. Il fallait tourner la maniclette, longtemps, mais déjà le sucre de la confiture creusait l’estomac, récompensé comme il se doit une fois le labeur achevé, comme il était récompensé à Pâques par la lignée des vingt-cinq lapins pour les vingt-cinq petits-enfants (le mien, c’était le blanc, le seul blanc ; il y a des privilèges qu’il ne faut pas abolir).

Les souvenirs d’enfance passent toujours d’abord par le sens du goût, qui est aujourd’hui un peu amer (ou a-grand-mère).

Adieu Marcelline.

Il est des prénoms disparus qu’il faudrait ressusciter. 


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A propos

Lie tes ratures, littérature, ce blog se veut l'atelier de mon écriture. J'y déverse en vrac des notes prises au jour le jour, l'expansion de ces notes en des textes plus élaborés, des réflexions et des délires, des définitions et des dérives, bref tout ce qui fait le quotidien d'un homme qui écrit, ici, en Suisse, ailleurs, dans mes rêves et à travers le monde qui m'entoure.

Bref, ce blog suisse de littérature partira dans des directions variées qui, je l'espère, sauront vous parler.