Blog suisse de littérature

4 octobre 2014

Il est temps de prendre une bonne cure de Brel. C’est mon plus fidèle ami. 

J’écrirai donc avec sa voix écorchée dans les oreilles. Mes mots me sembleront d’une fadeur coupable parce qu’ils se frotteront le ventre sur le ventre des femmes de Brel, qu’il aimait d’une haine si profonde, et parce que je ne saurai que ressasser mes ébahissements.

Le gaz : le tire-bouchon s’envole en spirale et la harpe en caresse au sein d’un boudoir plein de Bouddhas. Tiens, un clavecin : plus personne pour en jouer du jazzzzzzzzzzzzz.

Les bourgeois (en flamand) : un Sicilien débarquant de Paris à Fribourg entend des Bourbines qu’il prend pour des Romands. Il se rend compte qu’ils ne parlent pas français juste avant de ficher le camp. Nos compatriotes à langue rêche sont-ils pires que ceux de Brel ?

Le prochain amour : y en aura-t-il un ? Brel fut un éternel adolescent. Devenu adulte, je n’ose plus aimer, parce que moi aussi, je sais qu’il faut pleurer quand l’autre est le vainqueur et que je ne suis pas un battant. Il est dur de se sentir plus désespéré que Brel.

Jaurès : il y a cent ans, la boucherie ne faisait que commencer. Brel n’a eu besoin que d’un poumon mourant, que d’un accordéon rance (je ne trouverai pas un meilleur adjectif que lui) et que de son génie de l’évocation pour dynamiter le « champ d’horreur ».

Les bourgeois (en français) : montrer son cul et ses bonnes manières, est-ce encore possible ? plus personne n’a le culot de baisser son froc pour de vrai, d’appeler un chat un chat et de ruer dans les brancards du politiquement correct. Les bourgeois hélas sont devenus des bobos.

L’enfance : « Mon père était un chercheur d’or ; l’ennui, c’est qu’il en a trouvé. »

Quand maman reviendra : « A cheval sur un chagrin d’amour », « on a tellement besoin de chanson quand il paraît qu’on a vingt ans »; plus je cherche à écrire sur Brel, plus je le cite, en me disant qu'on ne peut guère faire plus. Est-ce que j’écoute en écrivant ? Est-ce que j’écris en écoutant ? Il faudrait se contenter d’écouter.

La chanson de Jacky : j’ai passé un peu de ma journée à écrire une chanson pour un autre Jacky, une chanson qui dira la rugosité des mains des travailleurs. Elle n’aura hélas ni la rugosité des mots de Brel ni celle des mains de papa. Peut-être tremblera-t-elle comme les mains de Brel en scène.

Les carreaux : il pleut. A qui la faute ?

La Fanette : se taire et écouter. J’ai passé mon adolescence à hurler Brel. J’ai appris aujourd’hui à l’entendre en silence, comme il entendait, lui, la voix de la Fanette. Il faudrait que je me remette à hurler.

La ville s’endormait : c’est ici que je m’arrêterai, fourbu comme un vieux cheval (ce Coco de Maupassant, relu il y a peu, torturé par la bêtise humaine), mourant de hasard en allongeant le pas, en me disant que Brel avait raison, qu’en effet « les connes ne ressemblent qu’aux connes. »

Quand on a que l’amour : mais le grand Jacques ne veut pas que je m’arrête sur une si amère constatation. Il rajeunit en moi. Il redevient l’idéaliste des débuts, l’abbé Brel dont se moquait Brassens. Redevenir l’idéaliste des débuts ? Retrouver la force d’aimer ? Pourquoi pas ?


Post précédentTM Café, mardi 29 mars 2016, 13h30Post suivantPublicitaire (adj. et n.)

Commentaires et réponses

×

Nom est requis!

Indiquez un nom valide

Adresse email valide requise!

Indiquez une adresse email valide

Commentaire est requis!

* Ces champs sont requis

Soyez le premier à commenter

A propos

Lie tes ratures, littérature, ce blog se veut l'atelier de mon écriture. J'y déverse en vrac des notes prises au jour le jour, l'expansion de ces notes en des textes plus élaborés, des réflexions et des délires, des définitions et des dérives, bref tout ce qui fait le quotidien d'un homme qui écrit, ici, en Suisse, ailleurs, dans mes rêves et à travers le monde qui m'entoure.

Bref, ce blog suisse de littérature partira dans des directions variées qui, je l'espère, sauront vous parler.