Blog suisse de littérature

6 mars 2000 - 2021

  • Vincent Francey

Ainsi donc, les jours où tu te remets à ton journal – ce matin parce que, mais c’est trop chaud, trop intime encore, l’intimité ne serait-elle rien de plus qu’une question de temps qui passe ? – tu te replonges dans tes journaux de jadis. Deux blocs de journaux, l’actuel, dès 2014, sporadique. Le tout vieux, appliqué : 1998-2002. Des renaissances en périodes de crise aussi, tu ne sais plus où ça se trouve, mieux vaut peut-être laisser cela enfoui. Dans le journal récent – celui où ton écriture, dirais-tu, s’affirme – en date du 6 mars : rien. Te rabattre donc sur l’antiquité – à la fin tu es las de ce monde moderne – et te voilà à te feuilleter toi-même et à refeuilleter ce que tu feuilletais en l’an 2000. Tu n’as pas vingt ans et tu parlais encore de toi en disant je.

6 mars 2000

Je partage ma matinée entre deux lectures, celle des Misérables et celle des Éblouissements, dont les titres, me semble-t-il, pourraient être interchangés. L’après-midi, il faut remblayer de la terre, ce qui n’est faisable qu’en musique. J’arrête pour prendre les trois heures. Monique et Patrick nous rendent visite brièvement. Je me renferme dans ma chambre. En fait, je n’ai rien à raconter sur aujourd’hui et j’écris dans le vide. Parlons un peu du film de la soirée, Tchao Pantin, qui pose beaucoup de questions. Les meurtres de Coluche-Lambert sont-ils excusables ? Je ne crois pas. Compréhensibles ? Oui. Tchao Pantin est un film où on se tue, comme dans beaucoup d’autres films, mais ce qui fait que c’est un film important, c’est que le meurtre, la mort, n’y sont pas gratuits. Montrer des crimes au cinéma a un risque, la banalisation. C’est un piège dans lequel bien des cinéastes tombent. On nous montre le meurtre comme quelque chose de normal, de banal même, de gratuit, de simple, alors que c’est quelque chose de difficile, d’horrible, même et surtout pour celui qui tue, d’anormal. L’homme est fait pour faire le bien. Le mal est toujours et doit rester toujours marginal. On n’est pas choqué par des Edmond Kaiser, qui vient de mourir, car au fond, les choses extraordinaires qu’il a faites sont normales, tiennent du devoir de chaque homme. Il a seulement été plus loin que d’autres. Il ne s’est pas, comme beaucoup, satisfait trop vite. Il faut se méfier de la suffisance. Rien n’est jamais suffisant. On peut toujours faire mieux, aller plus loin encore. Mais il y a toujours ce fossé entre vouloir faire et faire effectivement. Allez, une petite pensée pour L. avant de dormir !

6 mars 2021

Que sont ces Éblouissements ? Les Misérables, tu as relu le bouquin l’an passé, mais tu as perdu l’éblouissement de cette lecture. Victor Hugo, comme toi-même en l’an 2000, ça te parait truffé de bon sentiments et de moraline, mais ces Éblouissements, qu’est-ce que ça peut bien être ? Tu ne retrouves pas de livre titré ainsi dans ta bibliothèque mais un miracle nommé Google – c’est le 9 mai 2000 que la version française de Google est née, ces Éblouissements d’il y a vingt-et-un ans, en ce temps-là, tu ne les auraient jamais retrouvés, d’autant plus que vingt-et-un avant 2000, tu n’étais pas plus né que Google – un miracle nommé Google, écrivais-tu, te rappelle un nom, Pierre Mertens, puis un deuxième nom, Gottfried Benn, et tu te souviens bien de ce livre, un homme happé par le nazisme, tu n'en te souviens pas si bien que cela, Gottried Benn, tu l'as pris pour un peintre mais c'était un écrivain, mais tu avais aimé ce livre, il t’avait marqué, il y avait aussi Paul Hindemith dans ce livre, et dans ta tête ces mots soudain – Google a ouvert la boîte de Pandore en toi – puisque tout passe, faisons la mélodie passagère ; celle qui nous désaltère aura de nous raison, et voilà un autre nom, Rainer Maria Rilke, vous chantiez cela dans la maison d’Hindemith à Blonay, Rilke avait vécu en Valais, il avait écrit ce poème-là en français, et la semaine passée, tu lisais ses Lettres à un jeune poète, trop tard, c’est à l’époque des Éblouissements que tu aurais dû les lire, mais en ce temps-là tu devais remblayer la terre, pas question de faire poète, et Tchao Pantin, il t’en est resté quoi ? Tu as le DVD dans l’armoire, tu n’as plus le meurtre dans la mémoire, seulement un garage, du cambouis, des types tristes au milieu des voitures, tu ne te poses plus des questions morales, tu ne penses plus que l’homme est fait pour le bien, tu cherches à retrouver des ambiances, tu te souviens avoir lu Les Éblouissements dans le train, tu crois que c’était l’Intercity pour Zurich mais est-ce que c’est important, de te souvenir de cela, alors que le nom d’Edmond Kaiser ne te dit plus rien. Wikipédia, qui n’a été créée qu’en 2001, te fait la morale : Edmond Kaiser est le fondateur de Terre des hommes, c’était un type bien, mais à l’époque, malgré tes discours humanistes, c’est bel et bien la figure de Gottfried Benn qui t’avait fasciné, l’écrivain expressionniste qui s’était un moment fourvoyé dans les bras d’Hitler, alors que toi, tout gentil que tu étais et que tu es toujours, tu n’as jamais été foutu de te jeter dans ceux cette L. à qui tu pensais et de cette autre à qui tu penses.

Deux 6 mars, à vingt-et-un ans de distance, avec un poème de Rainer Maria Rilke mis en musique par Paul Hindemith.


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A propos

Lie tes ratures, littérature, ce blog se veut l'atelier de mon écriture. J'y déverse en vrac des notes prises au jour le jour, l'expansion de ces notes en des textes plus élaborés, des réflexions et des délires, des définitions et des dérives, bref tout ce qui fait le quotidien d'un homme qui écrit, ici, en Suisse, ailleurs, dans mes rêves et à travers le monde qui m'entoure.

Bref, ce blog suisse de littérature partira dans des directions variées qui, je l'espère, sauront vous parler.