Blog suisse de littérature

Les dix-sept minutes de dix-sept heures dix-sept

  • Vincent Francey

Un train. Départ : dix-sept heures dix-sept. Arrivée : dix-sept heures trente-quatre. Superposer les conversations. Il fait comme eux. La tête penchée en avant, le petit appareil dans les mains, il agite de temps en temps les doigts pour passer inaperçu mais il n’a appuyé qu’une fois sur le bouton, le rouge, celui du dictaphone, à dix-sept heures dix-sept précises. Il appuiera une seconde fois dix-sept minutes plus tard, à dix-sept heures trente-quatre, puis il descendra. Geste répété chaque mardi et chaque jeudi pour capter des mots, des sons, des ambiances, des voix automatiques qui disent à chaque fois les mêmes lieux, Givisiez, Belfaux CFF, Grolley, Léchelles. Une fois de retour chez lui, il lui suffit de superposer le tout, d’ajouter chaque jour une couche de mots, de sons et d’ambiances. Au début, il y aura des restes de langue, on entendra des mots – train régional à destination de – des gens parleront, des rires fuseront, des téléphones sonneront, mais petit à petit plus rien ne sera audible. Très vite, il ne se contentera plus du mardi et du jeudi. Où qu’il soit, à la maison, au travail, au bistrot, en balade, au plumard, tous les jours à dix-sept heures dix-sept, il appuiera sur le bouton rouge du dictaphone. Le dimanche, couché dans son canapé, il appuiera sur le bouton rouge du dictaphone et l’on n’entendra que le son des pages que la main tourne. Le lundi, ce sera un autre livre, des pages plus fines, un son différent noyé sous la musique du mercredi et sous l’apéro du vendredi. Son œuvre ? Superposer toutes les couches, certes, mais ensuite les recombiner à l’envie, enlever une couche, en ajouter une autre, mixer le mercredi avec le vendredi puis le samedi avec le lundi, puis le dixième jour de chaque mois, puis tous les 22 février, puis deux jours à vingt ans d’intervalle, puis on appondrait toutes les combinaisons et cela deviendrait un long fil qu’on plie et qu’on déplie, qu’on noue et qu’on dénoue, qu’on coupe, qu’on coud et qu’on découd, un puzzle infini, et le livre, ce serait encore et toujours ajouter des couches, en supprimer, empiler des sons, les écrouler, les classer, les mélanger, les entrechoquer, les effacer pour laisser surgir des phrases qu’on censure et qu’on brouille avec d’autres phrases, le livre, ce serait inventer puis détruire les milliards de combinaisons que ce seul geste, appuyer sur le bouton rouge du dictaphone tous les jours à dix-sept heures dix-sept puis appuyer sur le même bouton rouge dix-sept minutes plus tard, permettra d’écrire afin de saisir la vie avant même qu’elle ne se soit dégradée en récit.

Quelques mots sur un projet d'écriture de littérature sans texte, à partir d'<link https: www.tierslivre.net spip questionnement de françois>un questionnement de François Bon, avec ci-dessous ce que cela donne pour le mois de février 2021.


Post précédentLimpopoPost suivant6 mars 2000 - 2021

Commentaires et réponses

×

Nom est requis!

Indiquez un nom valide

Adresse email valide requise!

Indiquez une adresse email valide

Commentaire est requis!

* Ces champs sont requis

Soyez le premier à commenter

A propos

Lie tes ratures, littérature, ce blog se veut l'atelier de mon écriture. J'y déverse en vrac des notes prises au jour le jour, l'expansion de ces notes en des textes plus élaborés, des réflexions et des délires, des définitions et des dérives, bref tout ce qui fait le quotidien d'un homme qui écrit, ici, en Suisse, ailleurs, dans mes rêves et à travers le monde qui m'entoure.

Bref, ce blog suisse de littérature partira dans des directions variées qui, je l'espère, sauront vous parler.