Tu fais le vide, tu laisses place à la musique, tu te mets à son service, tu respires, tu déplies ton bras, tu joues. Tu luttes face aux larmes qui montent, tu les enserres dans les cordes du violon, tu n’es que musique, tu te le répètes sans cesse : je ne suis que musique. Tu t’efforces à ne penser à rien d’autre : la musique, seulement la musique. Tu oublies ton pays, tu oublies ta langue, tu abandonnes ta famille, les sanglots de ta mère, le père, le frère parti pour la guerre, tu ne dois penser qu’à la musique, revenir à la musique, seulement la musique, la corde qui vibre, le tremblé de ta main, le boisé de ton son, tu ne dois penser qu’à ton son, seulement ton son. Tu oublies les hommes de ta vie, tu te tiens debout, droite, fière, inaccessible, tu les nargues, tu les assommes de tes sons et tu venges ta mère, tu venges ta grand-mère, tu venges toutes celles aux mains rêches, toutes celles qui se sont tuées pour que toi tu sois là, debout, droite, fière, reine d’un soir, puis tu laisses mourir le dernier son. Tu retiens ta respiration. Tu restes debout, droite, fière, tendue vers ce qui a eu lieu, tu te figes en statue de pierre, tu sais que c’est ici et maintenant que tu es véritablement belle et tu sais – tu dois le savoir – que tous, le père, la mère en larmes, le frère mort à la guerre, tu sais que tous ceux qui sont restés là-bas, tu sais que tous ceux qui sont venus ici savent que c’est maintenant que tu es véritablement belle. Tu puises dans cet instant la force demain de recommencer les gammes, les arpèges, les heures infinies de patience qu’il faut supporter pour toucher à ça, à la musique, à ta beauté, à ce qui seul doit compter dans ta vie.
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