Blog suisse de littérature

Café Populaire, lundi 10 avril 2017, 9h20

Lundi matin Popu, c’est tranquille.

Quelques rares clients boivent du thé Roille-Gosse orange. Ils sont profs à Saint-Michel, forcément. En vacances, cela va s’en dire.

Le réparateur de fûts de bière vide des bidons de vieille cardoche usagée.

Deux flics passent sans se presser devant les graffitis éléphantesques de la ruelle où un crocodile rouge montre la blancheur de ses dents à un imaginaire orthodontiste. Elles ne sont pas tout à fait droit, mon bon crocro, il va falloir me redresser tout cela…

Une blonde essaie d’étudier puis s’en va fumer dehors. Il fait trop beau pour se casser la tête sur Aristote. Elle whatsappe et elle instagramme. C’est plus facile que Spinoza parce que moins éthico-théologique.

Soudain, le crocodile saute du graffiti. Il a peur des piqûres. Il s’assied à côté de la blonde et lui sourit de toutes ses dents éparpillées. Elle tweete et elle snapchatte. Elle n'a pas vu la bête. Elle revient à Kant, c’est plus raisonnablement pur.

Le crocodile ne sait pas s’il a le droit d’entrer : c’est interdit aux chiens. Par la vitre, il regarde le sol peint en rouge et bleu. Lui aussi, il est peint en rouge : c’est sans doute que d’autres crocodiles comme lui sont venus ici avant. Il entre.

La blonde a allumé son ordinateur. Elle pond un proséminaire sur Leibniz. Tout avance bien dans le meilleur des mondes. Le crocodile s’assied à côté d’elle. « Il serait intéressant de faire une analyse psychologique du gaillard », déclare un prof de français que plus rien n'étonne.

Il y a souvent des crocodiles par ici. Rien d’absurde à cela. La blonde essaie de tirer des parallèles avec Camus. Peut-être ce crocodile est-il un animal malade de la peste. Deux jeunes filles l’une en face de l’autre se skipent et se facebookent. T’es où ? Au popu avec un crocodile. Il s’est lassé de la blonde. Il n’a rien compris à Hegel. Elle non plus. Les profs de Saint-Michel non plus. Hegel lui-même non plus.

Le réparateur de fût s’en va. Il en a assez entendu. « Il est inspiré du Saint-Esprit », déclare une prof de sciences religieuses.

Passe un informatien à longue barbe. Le crocodile le suit. De toute façon, ici, personne ne fait attention à lui. Peut-être pourra-t-il se recycler dans un jeu vidéo.

La blonde a laissé tombé Derrida pour causer pour de vrai à une autre vraie jeune fille, brune. Elles se racontent des histoires d'orthodontistes.


Post précédentEdgar Hilsenrath, Le nazi et le barbierPost suivant9 février 2015

Commentaires et réponses

×

Nom est requis!

Indiquez un nom valide

Adresse email valide requise!

Indiquez une adresse email valide

Commentaire est requis!

* Ces champs sont requis

Soyez le premier à commenter

A propos

Lie tes ratures, littérature, ce blog se veut l'atelier de mon écriture. J'y déverse en vrac des notes prises au jour le jour, l'expansion de ces notes en des textes plus élaborés, des réflexions et des délires, des définitions et des dérives, bref tout ce qui fait le quotidien d'un homme qui écrit, ici, en Suisse, ailleurs, dans mes rêves et à travers le monde qui m'entoure.

Bref, ce blog suisse de littérature partira dans des directions variées qui, je l'espère, sauront vous parler.