Blog suisse de littérature

L'appartement route d'Arsent

  • Vincent Francey

Faire le mur, le refaire ainsi qu’il fut, en fond d’écran, derrière le buste parlant. La pierre est fausse, froide, elle est douce aussi, elle obsède. Tons dans les gris-beige, monotonie, un début d’ennui puis on débordera du cadre, on ajoutera du bois noueux et des griffes sur le parquet, de la poussière dans les coins, du moisi sur le crépi. De l’autre côté de la toile, un autre cadre, des lumières découpées en carreaux variés, petits paquets de ville que la vitre atténue, il suffirait de laisser naître dans le brouillard une cathédrale coupée en deux, des lampadaires alignés, un arrêt de bus. Pour le son : craquements de planches, gargouillis de radiateurs, des pas au-dessus de ma tête, petits pas menus de jeune fille frêle. Gommer le plafond parce qu’à l’étage c’est un fatras de vêtements colorés, de timides demoiselles essayant des robes à fleurs et des pulls en laine, à l’étage, c’est une effervescence de bras nus, de chevilles et de tasses de tisane qu’on hésite à sucrer. Un vinyle grésille sous le diamant, on se croirait dans les loges juste avant le spectacle, cela doit donner le tournis, suggérer le mouvement, l’éparpillement, un vol de papillon, la peur de s’évanouir tant il fait chaud, un air de violon venu de l’étage encore plus haut, un chemisier dont on ne voit que les boutons, une jupe glissante, un rougissement, mais il est temps déjà de clore la bulle, d’éviter de tomber dans la vulgarité, de transposer dans la cuisine du bas les rougeurs du visage et de barbouiller ses buffets d’un rouge luisant mais graisseux à cause des doigts qui trainèrent sur les portes et à cause des huiles qui suintèrent de la hotte. Ajouter pour le détail un vieux balai de riz, un pied de parasol, un cendrier sans mégots, un sac poubelle bleu. S’enfoncer alors en des lieux plus sombres, plus secrets, y respirer des nuits d’insomnie, un lavabo, des coulées de dentifrice sur le miroir, quelques chaussettes dépareillées sur le sol, laisser les draps en vrac et empiler des livres épais – la bible, le coran, les Mémoires de guerre de Churchill – pour remplacer les pieds du lit. Ce n’est pas un lit où l’on fait l’amour, voilà ce que l’on doit se dire, c’est un lit trop fragile, un lit trop négligé pour cela, un lit posé là parce qu’il faut bien un lit pour dormir de temps en temps. Encore plus au fond – trouver le moyen que cela semble à la fois imperceptible et omniprésent – il y aurait des montagnes de papiers, des classeurs ouverts, des câbles rongés, tout cela dans un bric-à-brac indescriptible pour donner le sentiment que tout bouge sans arrêt, que des mains fouillent ces cahiers, ces Post-its, ces blocs de feuilles, ces livres usés, et pour donner l’impression que c’est dans ce cagibi du fond que cela se passe. Cela ? Laisser rêver le spectateur. Le contraste avec le lit, le rendre le plus vif possible : l’extase que le lit refuse, ce serait sur ces bureaux de contreplaqué qu’elle surviendrait enfin, noyée dans ces phrases écrites au stylo bille, phrases à jambes longues qui débordent du tableau pour tenter une ultime fois d’effacer le plafond, mais en vain.

 

Retour par la peinture et deux photos dans mon ancien appartement fribourgeois, en m'inspirant d'une proposition de <link https: www.tierslivre.net spip de françois>l'atelier d'écriture de François Bon.


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A propos

Lie tes ratures, littérature, ce blog se veut l'atelier de mon écriture. J'y déverse en vrac des notes prises au jour le jour, l'expansion de ces notes en des textes plus élaborés, des réflexions et des délires, des définitions et des dérives, bref tout ce qui fait le quotidien d'un homme qui écrit, ici, en Suisse, ailleurs, dans mes rêves et à travers le monde qui m'entoure.

Bref, ce blog suisse de littérature partira dans des directions variées qui, je l'espère, sauront vous parler.