Le Bocalino, samedi 15 avril 2017, 13h55

• 20.12.2017

Ils ont dû, dit le plus vieux - qui s’est au passage autoproclamé nouveau chef de la Landwehr - grimper aux sapins en Serbie pour chopper ce sanglier qui a fini en saucisse à midi, mais si vous préférez, on peut vous griller un monstre morceau de charolet, quoi qu’il arrive, il faut que ça saigne, vous ne serez pas déçus.

Partout sur les murs des poissons-mastodontes la bouche grand ouverte s’apprêtent à bondir sur les clients trop viandeux : « Et les bons produits de nos lacs, ça compte pour des prunes ? Les pêcheurs, ça vaut pas les chasseurs, c’est ça ? »

Le patron est à deux doigts de décrocher le fusil du bar pour les faire taire, ces satanés brochets. Déjà que quand il les avait coincés dans ses filets, ils s’étaient sacrément débattus, ces crevures, voilà que maintenant ils se mettent à causer ! Des poissons qui causent, c’est quand même un comble ! On a beau être au mois d’avril, il y a des limites. Le crâne de cerf de l’autre côté, est-ce qu’il la ramène, lui ? Non. Alors, la poissecaille, la ferme, sinon j'envoie les sorcières qui se baladent sur le comptoir vous jeter aux yeux de la poudre de perlimpimpin et vous allez voir ce que vous allez voir !

Le monde extérieur avance flou derrière la vitre : des voitures en forme de vitraux et des gens vaguement pressés semblent nager dans un aquarium. Les chasseurs se lèvent. Bon, disent-ils, puis ils…

Les poissons du mur auront bientôt leur revanche. Ils feront moins les malins quand le lac les bouffera, ces pêcheurs en eau trouble ! Le monde extérieur, ils verront ce que c’est, c’est satanés carnivores ! Et ils regretteront de s’y être aventurés.

On est mieux là que dehors, pensa le crâne de cerf en se souvenant des glorieux brames de jadis au fond des bois.