Le Cintra, samedi 29 avril 2017, 11h15

C’est l’heure de l’entre-deux, celle du réveil pour les feignasses qui émergent à peine de leur grasse matinée et celle de l’apéro pour les revenants du marché. Lesquels sont les zombies ?

Décor de cinéma muet, cosi (ça, c’est le mot qu’on sort quand on ne sait plus quoi dire mais qu’on est bien assis le cul sur des coussins moelleux), bouteilles en rangs serrés, martini, campari, suze, trompette noire comme le décor et riante comme…

Personne. Personne ne rit. On a peur de réveiller les zombies. Cette charmante serveuse qui s’approche, d’ailleurs, n’en serait-elle pas un ? Elle débarrasse la table d’à côté, puis soudain elle se jette sur… Non, je fantasme, elle essuie les verres, au fond du café, dans ce décor  banal et noir à pleurer.

Les gens aux cafés et aux verres de vin ne pleurent pas non plus. Il parlent, pas trop fort, pour ne pas réveiller les morts. Cette boîte, c’est peut-être un corbillard. Les chevaux sont en retard. Ils nous emmèneront en cortège sur le boulevard. L’enterrement est prévu au Christ-Roi. Des gens sortent, terrorisés par la nouvelle. La serveuse zombie leur dit au revoir, merci. Ils ne reviendront pas. Ou seulement pour la collation. 

Hello Dolly ! Le rire de Louis Armstrong vient soudain détendre cette atmosphère drôle de guerre où nous baignions. Les gens parlent plus fort. Ils se demandent timidement s’il ne serait pas temps de sourire un peu et de sortir les néocolors pour éclairer de rose et de jaune ces murs trop foncés.

Puis la voix noire se tait. Le verre de blanc est vide. Le café aussi. La serveuse se jette sur moi. Ce n’était pas un zombie. C’était un vampire. Elle me suce trois francs cinquante.