Blog suisse de littérature

Terrasse de la Schweizerhalle, vendredi 1er juillet 2016, 16h25

Dans la vitrine danse la ferraille. Impression que ça vole, comme les nappes sous le vent d’été ou comme une moto dans la conversation des bikers.

Le plus bavard a la voix de l’oncle Marcel, qui ne roule qu’à vélo et en train. Rue des épouses, il n’y a que des hommes, des maris fidèles. Trompe-t-on sa femme avec sa Harley ? L’oncle Marcel est au-dessus de tout soupçon, il passe son temps à gravir des sommets et à conduire des locomotives.

Sur l’autre vitrine, il est écrit « rembourrage à l’ancienne ». Un fauteuil trône. Qui est cette ancienne que ce fauteuil immobile, propre et verdâtre cherche à rembourrer ? La voilà. Non, son chignon passe devant le siège sans daigner s’arrêter.

Un enfant jaune passe en trottinette. Les bikers ne le voient pas. Un véhicule, ça doit avoir un moteur. Si ça ne pollue pas, ça ne compte pas. La rue est piétonne, hélas.

L’homme à la voix de l’oncle Marcel explique à ses potes la différence entre les volts et les ampères. Un bébé agrippé à son père passe en courant. Les ampères, c’est pour le courant, non ? L'électricité n’a jamais été son fort, mais l’oncle Marcel sait bien expliquer les choses, presque aussi bien que James ou que l’oncle Hubert.

Cette ferraille qui danse, ça lui plairait, à l’oncle Hubert. Il saurait comment ça marche, ou plutôt comme ça vole. Il aurait une jolie théorie à développer, l'oncle Hubert. James aussi.

Passe un chien, puis une autre vieille qui se fout du fauteuil à rembourrer, elle aussi.

J.-J. Hofstetter – c’est le nom sur la vitrine aux machines volantes – fume sa clope en regardant passer les cons. Il ne dit pas le fond de sa pensée au vieux à canne et à la dame à tablette qui se perd dans la technologie sans lever les yeux sur les beautés du bourg. En voilà une, d’ailleurs, de beauté, qui passe, asiatique comme l’autre fois. 

« Le bobet qui en a limite rien à foutre », affirme l’oncle Marcel. Plus personne n’est sensible à la beauté. La carrosserie pourtant valait le détour. Les Japonaises valent largement les Allemandes.

La vieille à chignon repasse, toujours aussi méprisante pour le pauvre fauteuil à rembourrer, qui n’a même pas l’idée, pour séduire sa dulcinée, d’imiter la danse ferrée de la vitrine d’à côté.

« Je serai à proximité de la Laponie quand vous visiterez les locaux de la Micarna », gueule l’oncle Marcel, qui habite à Cournillens, juste à côté, et qui aime le froid. Mais pour l’heure, il fait chaud et ma bière est vide.

Il est temps de se lever, d’enfourcher sa moto ou ses chaussures – pour les cons, se dit peut-être J.-J., qui a disparu, dégoûté par tant d'inepties – et de quitter cette rue mal famée avant qu’un troisième papa à bébé en bandoulière ne la traverse en sandalettes et que ce gamin à maillot jaune devenu adulte ne se remette à rire bêtement en se foutant de la gueule des mobiles aériens enfermés derrière la vitre trop propre de J.-J., qui a kidnappé le fauteuil d'à côté pour le rembourrer de clous et de punaises. 


Post précédentPhilippe Geluck, Le chat fait des petitsPost suivant19 octobre 2014

Commentaires et réponses

×

Nom est requis!

Indiquez un nom valide

Adresse email valide requise!

Indiquez une adresse email valide

Commentaire est requis!

* Ces champs sont requis

Soyez le premier à commenter

A propos

Lie tes ratures, littérature, ce blog se veut l'atelier de mon écriture. J'y déverse en vrac des notes prises au jour le jour, l'expansion de ces notes en des textes plus élaborés, des réflexions et des délires, des définitions et des dérives, bref tout ce qui fait le quotidien d'un homme qui écrit, ici, en Suisse, ailleurs, dans mes rêves et à travers le monde qui m'entoure.

Bref, ce blog suisse de littérature partira dans des directions variées qui, je l'espère, sauront vous parler.