Peut-on déconstruire la société du spectacle, alors qu’elle le fait constamment elle-même et que sa déconstruction est elle-même spectacle ? La com envahit tout. Les politiques chantent (faux). Les journalistes se mettent en scène dans leur agressivité ou leur rondeur faussement bonhomme. Les artistes s’exposent plus qu’ils n’exposent leurs œuvres, ou exposent leur discours sur comment ils exposent leurs œuvres. Tout est transparent, c’est l’impératif moral catégorique, et bien sûr la superposition des transparences crée une opacité plus aveuglante encore que le mensonge. Comment se sortir de ce mic-mac (idéologique du goulag mou, chantait Sarcloret) ? Comment y voir clair dans ce jeu trop complexe pour deux yeux humains bombardés d’images truquées qui dévoilent leur truquage tout en truquant leur dévoilement ? Bref, comment prendre position, réagir, penser face à ce déferlement sans fin ? Deux tentations s’opposent. La première, c’est l’animalisation de la réaction, l’instinct qui commande, le choc permanent, l’émotion à la petite semaine que les vendeurs de virtuel recherchent. Tout devrait être commenté sans cesse sous le coup de l’émotion, en état de choc, dans l’indignation ou l’enthousiasme. On devrait instantanément répondre « j’aime » ou « je déteste » à tout ce qui passe devant nos yeux. Et si on dit « j’aime », on achète et la croissance reprend sa course folle vers le vide. L’autre tentation, la mienne mais pas tout à fait, c’est de fermer les yeux, d’éteindre l’ordinateur, la radio et la télé (pour la télé, c’est déjà fait), de ne plus lire les journaux et de choisir de vivre en ermite, caché dans sa grotte en se foutant du monde, en lui riant au nez comme le Zarathoustra de Nietzsche, ou en pleurant sa déchéance (celle du monde et la sienne propre). Sauf que dans le monde, on y est, qu’on vit avec les autres êtres humains, qu’on leur parle et qu’ils vous parlent et que fatalement quelque chose du bombardement médiatique transparaît dans le rapport avec les autres. On peut être tenté de se boucher les oreilles sur le résultat du dernier match de foot (la tentation ici est immense) mais au café le matin, le lendemain du match, on vous en parlera quand même. Bref, la déconstruction, le regard déniaisé, le biais, la critique, l’ironie, l’humour et la prise de distance sont les seuls moyens pour plus ou moins s’en sortir. Mais quand même, il y a des moments où l’envie d’envoyer tout le monde se faire voir chez les Grecs pour les aider à payer leur dette est irrésistible.
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