Blog suisse de littérature

Hôtels

  • Vincent Francey

Étrange solitude des hôtels, solitude étrangère avec présences puantes, solitude d’une nuit qu’on paie ailleurs, il faudrait ici faire la liste de mes hôtels, y écrire ces chambres, ces lits doubles, ces bibles sur la table de chevet, les savons dans les salles de bains, le code wifi et la fenêtre avec vue sur qui ? Sur la rue avec passants villes bruyantes, sur la cour avec béton banlieue blanche, sur la plage ou le jardin ou les toits, cette vue sur tout Copenhague à l’hôtel Scandic et la Petite Sirène à l’entrée, ce vieil hôtel de Bastogne, la profondeur du lit à Châtillon-sur-Seine, les palmiers de Locarno et, à Plombières-les-Bains, ces hôtels vides quand l’hors-saison c’est depuis le Second Empire, et la climatisation de cet hôtel à Chambéry et celui près de la Porte de Saint-Ouen avec ce bar de nuit, il faudrait retrouver tous ces hôtels, les placer en équilibre les uns sur les autres pour qu’ils ne deviennent qu’une grande tour, l’hôtel immense – était-ce vraiment un hôtel ? – ou nous dormions à Chicoutimi, ceux de Majorque et de Colmar et ce bungalow où nous mangions des litchis à la Réunion, la liste se prolongera comme le monde, il y a eu les hôtels de Chine avec chantiers de nuit et celui d’Afrique du Sud et nos bagages à attendre éternellement et il y a eu un hôtel à Bruxelles et celui d’Altona et il faudrait ajouter les Bed and breakfast d’Écosse et raconter l’histoire de la tueuse, les trous dans le gazon, les cercueils qu’on y transbahutait la nuit, mais il y aurait aussi à dire cette nuit où nous campions sur une plage près d’Ostende et la veille du pique-nique des Fragnière et faire aussi le tour de toutes les chambres qui n’étaient pas celles des hôtels, nous souvenir que nous avons eu notre chambre à tous les étages de la ferme, celle du rez-de-chaussée avec les matchs de boxe à la télé et le chapelet du dimanche soir, celle du premier avec la machine à traire le matin, celle du deuxième avec le train et les phares des voitures et celle du troisième, ce raide escalier à gravir les soirs d’ivresse, puis les chambres d’Arsent, la cathédrale et sa cloche tous les quarts d’heure, et voilà que me revient en mémoire les pires des chambres, les dortoirs de la Kaserne Stadt à Frauenfeld avec aussi une cloche et cette nuit où des hurlements, cette nuit ils hurlaient en allemand et nous n’y comprenions rien, cette nuit tous debout alignés dans un gymnase, cette nuit dénoncez-vous et nous qui n’y comprenions rien, nous qui n’avions qu’une idée en tête, dormir, et eux qui hurlaient, eux qui cherchaient les coupables, eux qui nous traitaient comme des chiens, d’autres nuits dans d’autres casernes – j’ai haï de toute mon âme les casernes, je les haïrai jusqu’à la fin de mes jours – et d’autres nuits dont nous ne dirons rien – j’ai dormi une nuit sur un banc de gare – d’autres nuits dans d’autres hôtels, dans d’autres chambres, d’autres nuits sur lesquelles nous avons fermé nos portes à double tour, d’autres nuits sans amour.

Lecture du poème Hôtels du recueil Alcools de Guillaume Apollinaire, accompagnée de quelques souvenirs de voyages et de chambres à coucher.


Post précédentAutomne maladePost suivant4 octobre 2015

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Lie tes ratures, littérature, ce blog se veut l'atelier de mon écriture. J'y déverse en vrac des notes prises au jour le jour, l'expansion de ces notes en des textes plus élaborés, des réflexions et des délires, des définitions et des dérives, bref tout ce qui fait le quotidien d'un homme qui écrit, ici, en Suisse, ailleurs, dans mes rêves et à travers le monde qui m'entoure.

Bref, ce blog suisse de littérature partira dans des directions variées qui, je l'espère, sauront vous parler.