Vous n’êtes que des masques sur des faces masquées, vous n’êtes que de étés mourants, vous n’êtes rien, sinistres silhouettes de la deuxième vague qui errez dans les villes éteintes. Ils avaient hurlé Révolution et vous êtes passés sans vous retourner. Ils avaient crié vengeance et vous êtes passés sans frémir. Ils avaient crié et crié encore mais personne n’avait deviné sous les masques leurs bouches déchirées. Personne, dans les villes tapies, n’avait rien vu, rien su, rien voulu. Vous n’êtes que des masques sur des faces masquées, vous les passants des villes frileuses qui vous confinez dans vos bureaux, et les hommes sans présent continuent à errer dans les villes mécaniques, à y errer sans visage. Qui sont-ils, ceux de Paris, ceux d’Auteuil, ceux de Moselle, ceux de Sicile ? Qui sont-elles, ces faces masquées qui ne sont que des masques ? Qui sont-ils, ces mentons sans gosier ? Ils sont l’humanité sans soif, ils sont l’humanité sobre, ils sont l’humanité saine, ils sont l’humanité responsable. Ils sont les chants d’universelle lassitude. Hommes de l’avenir, c’est ainsi qu’il vous apostropha, vous en souvient-il, quand sonnait le glas de ce septembre si morne, hommes de l’avenir, hommes sans présent qui n’êtes que des masques sur des faces masquées, entendez-vous encore la voix surgissant du tombeau, voix de terre, voix vendangée, voix d’outre-virus ? Ils ne tendirent pas l’oreille. La voix s’acharnait, elle prophétisait : le 9 novembre 1918, Apollinaire succomba à la grippe espagnole. Sous ses fenêtres, la foule criait : « À mort Guillaume ! »
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