Blog suisse de littérature

Visage (n.m.)

  • Vincent Francey

Il doit bien avoir un défaut, ce visage si beau, lui dit-il. Rien ne bougea. Il se rapprocha. Elle ne recula pas. Il doit bien y survenir quelque accident. Il se rapprocha encore. D’elle ce fut seulement le visage puis ce fut seulement la peau et cette rougeur sur la joue, puis ce fut la joue qui s’effaça : ne resta d’elle que le rouge, un rouge lisse et soyeux qui sentait le savon, un rouge de plus en plus rouge qui ne bougeait pas, un rouge désespérément lisse et soyeux, un rouge propre, un rouge parfait. Mais il y a autre chose, c’est sûr, pensa-t-il. Il dévala une pente douce, glissa de la pommette à la poche sous l’œil, puis il remonta timidement mais il ne trouva là que le battement d’un cil, d’un seul cil, d’un cil noir et tremblant, d’un cil s’essayant à l’immobilité, d’un cil aussi désespérément lisse et soyeux que le grain de cette peau dont le rouge s’estompait. Plus haut, entendit-il. Le blanc, ajouta-t-elle. Il la regarda dans le blanc des yeux. Un blanc immaculé, sans défaut lui aussi, un blanc de neige au matin. Il doit bien y avoir dans ce visage si beau un lieu sans magie, s’acharna-t-il à penser, mais il n’osa s’aventurer dans l’iris, il savait que ce ne serait pas là. La pente fut plus difficile à gravir en sens inverse. Il était happé par l’œil, tout en lui aspirait à redescendre vers le blanc mais il fallait coûte que coûte trouver un défaut à ce visage si beau. Le nez serait-il plus propice ? Arête droite, pas la moindre bosse, une rondeur discrète de narine qui lui suggéra que sur le sein non plus nulle imperfection ne saurait naître, mais il était hors de question d’aller y voir de plus près, elle ne lui avait offert que son visage et il y avait déjà tant de mystères à explorer. L’oreille ? Il n’osa aller plus loin que le lobe, lui aussi joliment arrondi. Le menton ? Ferme, harmonieux, sans surprise. Ce visage si beau allait-il finir par l’ennuyer ? Il y avait aussi – il savait depuis le début que ce serait là – à laisser la bouche s’approcher. Il recula. Attendit. Longtemps. Les lèvres, lentement, très lentement, trop lentement, semblaient s'avancer vers lui. Nulle gerçure. Nul rouge d’artifice. Une bouche parfaite, une bouche fermée, une bouche hésitante. Fallait-il lui parler, à cette bouche ? Il recula. La bouche avança à nouveau puis elle s’immobilisa. Il se décida à parler, il le lui dit. Le sourire qu’elle lui répondit fut sa première ride.

Exploration en gros plan d'un visage, à partir d'une proposition de <link https: www.tierslivre.net spip de françois>l'atelier d'écriture de François Bon et de l'article "visage" de mon livre Je de mots, dictionnaire intime.


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Lie tes ratures, littérature, ce blog se veut l'atelier de mon écriture. J'y déverse en vrac des notes prises au jour le jour, l'expansion de ces notes en des textes plus élaborés, des réflexions et des délires, des définitions et des dérives, bref tout ce qui fait le quotidien d'un homme qui écrit, ici, en Suisse, ailleurs, dans mes rêves et à travers le monde qui m'entoure.

Bref, ce blog suisse de littérature partira dans des directions variées qui, je l'espère, sauront vous parler.