An Tirlibaum, mardi 18 avril 2017, 15h15

Les joueurs sont concentrés. Les cartes, c’est du sérieux. Au moindre faux pas, ça peut péter. Ça faisait vingt ans qu’on était amis, vingt ans qu’on formait en paire hors paire, mais voilà, il a coupé quand j’étais bock. Il est des crimes qu’on ne peut pardonner même à ses meilleurs amis.

Les joueurs parfois parlent français, parfois bolze, mais souvent ils se taisent. Celui qui parle pendant le jeu est exclu. Les cartes, c’est du sérieux. « Joue en trèfle. » L’autre ne peut pas. « Pique, c’est match. » On l’a échappée belle. C’était le parrain de mon fils. Il a joué le six de carreau. J’ai rayé son nom de mon testament.

Le serveur balaie. Il n’a que ça à faire. Les joueurs, ça boit peu, du rivella rouge et de l’eau du robinet. Et ça boit mal, se dit le serveur. Les cartes, c’est du sérieux. Une après-midi un peu comme celle-ci, un joueur avait presque souri ; sans doute trichait-il. Il avait fait pire que mouiller le lait. Le lendemain, les gens changeaient de trottoir quand ils le croisaient, crachaient sur ses enfants et crevaient les pneus de sa voiture. On l’a retrouvé pendu au tilleul du Petit-Saint-Jean et on a dit bien fait. 

ABBA a beau chanter Dancing Queen, les cartes, c’est du sérieux, on ne joue pas la reine de coeur quand c'est trèfle atout.

Soudain, d’autres clients arrivent. Le cœur de l’après-midi bat un peu plus fort. On sera moins tranquilles pour taper le carton. Le serveur a retrouvé le sourire. Des gens normaux lui parlent.

« Si Paris était en Suisse, ça s’appellerait Parisse. » dit un chibreur avant de taper très fort sur la table. On va en venir aux mains. Courage, fuyons. De toute façon, avec tous ces clients qui se pointent, pas moyen de jouer correctement, mais quand même, t’aurais dû jouer pique, on était dehors !