Blog suisse de littérature

Broye (dérives et interstices)

  • Vincent Francey

14 février 2021. Prendre la route. Il fait froid, il fait seul, prendre l’air, rouler vers l’ouest, s’arrêter arbitrairement quand surgira la voix de Georges Brassens. Brel pour commencer, route de Payerne, mon père disait c’est le vent du nord, la bise, la température à -5° sur le tableau de bord, on ne s’arrêtera peut-être pas, est-ce que cela a un sens de s’en aller comme ça, seul au volant de sa voiture, un matin de Saint-Valentin ? Dans Payerne, Brel toujours, il y a tout, il y a l’amour et il y a moi, il n’y a que de rares hommes masqués dans les rues et une boulangerie ouverte, mais tu n’as pas pensé à prendre ton masque, tu n’as pas le droit de t’arrêter, d’ailleurs tu avais dit Georges Brassens, pas Jacques Brel, tu passes devant le cimetière, Henri Tachan, on a tous un jardin secret, une fille de joie qui fait les cent pas dans ta tête, tu penses à elle bien sûr, la touffe offerte en haut des cuisses, jardin des supplices, immondices, tu entres dans Cugy, salues la villa orange, te rendras compte au retour que le panneau Suze a été enlevé et Brel te chante l’ivrognerie qui t’adviendra si l’an prochain à la Saint-Valentin une fausse blonde une demi-vieille tu ne pleures pas, tu passes Montet, tu suis – toujours à l’ouest, c’est ainsi, tu as toujours été un peu à l’ouest – en direction de Granges-de-Vesin puis de Franex – un soir de bénichon tu t’étais retrouvé au bout d’un champ dans la voiture d’un autre ivrogne – puis Gainsbourg, Treytorrens, Souchon, Chavannes-le-Chêne, Dutronc (le père, il est cinq heures, tu regardes sur le tableau de bord, il est neuf heures et quart), Bobby Lapointe, elle s’appelait Françoise, tu essaies de te souvenir s’il y a eu une Françoise mais il n’y en a pas eu, ni de Framboise, ni de beaux seins en poire, Rouvray, Jacques Brel, les timides ça se tortille – est-ce que c’est vraiment le moment de remuer ainsi le couteau dans la plaie – tu redescends sur Yvonnand, je vous salue Marie – il n’y a pas eu de Marie non plus – c’est bien la voix de Georges Brassens, l’âne qui reçoit des coups de pied au ventre, tu aurais préféré quelque chose de plus léger, quand je pense à Fernande – il n’y pas eu de Fernande non, ni de Félicie, ni de Lulu – mais puisque c’est Brassens tu t’arrêtes.

Chemin des Condémines, Yvonnand

Bus à l’abandon, ronces, bois de feu, hangars, caravanes, bennes, un dimanche si froid que nulle vie n’y travaille.

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Pont d’autoroute, neige perdue dans le ciel, champs labourés, un lac qu’on ne peut qu’imaginer.

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C’était un bus plus moderne. C’était l’été. Nous avions marché. Jolie vue (tu ne te souviens que du petit cul de celle devant toi, tu devrais en avoir honte, c’est aujourd’hui la Saint-Valentin et tu erres tout seul entre des fers rouillés et de la peinture salie).

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Deux vélos, un marcheur, les phares d’une voiture. Trop de vie.

J’arrive, la voix de Brel à nouveau, celle au petit cul maintenant dans ta tête, ni Marie ni Françoise, tu ne penseras pas même à son nom, remplir d’étoiles un corps qui tremble, Brel dit comme toi mais il y met les formes, les formes de celle, tu te dis que jamais, déjà cet été-là tu te disais que jamais mais elle portait un mini-short et il faisait vraiment chaud alors voilà qu’est-ce que t’y peux si ça te retourne, les petits culs, et tu te souviens qu’elle avait aussi une paire de mais Brel te balance des chrysanthèmes, tu a repris la route, te voilà à Cheyres, et revoilà Brassens, les copains d’abord, il a raison, les copains ça te retourne moins le ventre, coquin de sort, et ton deuxième arrêt, ce sera pour prendre en photo la grand mare des canards.

Route de Béthanie, Châbles

Tout ce gui et personne à embrasser.

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Le lac : un trait de peinture bleue, délavée, au rouleau.

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Les sœurs de Béthanie cousaient des drapeaux pour les fanfares et les chœurs mixtes. Ghetto de riches désormais. Nouvelle religion.

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Du lierre pour étrangler les arbres de février.

Ma préférence, Julien Clerc, Châbles puis Montet, Cugy – le panneau Suze disparu – et penser à celle-ci, pas à comme celles d’été, celle-là qui enfin voilà elle n’est pas là est-ce que j’en suis amoureux, Nougaro, Cécile ma fille – il n’y a pas eu de Cécile non plus, et tu te dis que Cécile, c’est un nom de princesse qui joue de la flûte au pied de la tour de la Molière et que ce sont des angelots joufflus, des poupées de crèches entre le bœuf et l’âne gris, des bergères d’idylles ludiques – et c'est déjà la litanie des ronds-points, Payerne à nouveau, il serait temps de rentrer, tu es invité à dîner – ton frère – mais les passantes, la guitare, toutes les femmes qu’on aime pendant quelques instants secrets, il était dit que tu t’arrêterais encore une fois.

Bords de Broye, Payerne

L’école du chien, sous la route. Apprendre à l’écraser.

Bucolique promenade au bord de l’eau ? Sombre appel des coins noirs et des tags puis prendre en photo une boîte de conserve rouillée.

Sur un pilier, police partout. Tu te retournes brusquement : une coureuse en rose et noir. Moucharde, as-tu envie de lui crier.

Gel : chercher la vie l’artifice.

Agridubey, machines de chantier, tracteurs, pelleteuses et cette pompe, pompe à quoi ? Soudain souvenir d’Ubu.

Serge Reggiani, si tu me payes un verre, ta voiture te rentre chez toi rétamé et tu traines tout seul avec ton cœur en panne la mélancolie des célibataires sans bistrot.


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A propos

Lie tes ratures, littérature, ce blog se veut l'atelier de mon écriture. J'y déverse en vrac des notes prises au jour le jour, l'expansion de ces notes en des textes plus élaborés, des réflexions et des délires, des définitions et des dérives, bref tout ce qui fait le quotidien d'un homme qui écrit, ici, en Suisse, ailleurs, dans mes rêves et à travers le monde qui m'entoure.

Bref, ce blog suisse de littérature partira dans des directions variées qui, je l'espère, sauront vous parler.